Kalbotyra ISSN 1392-1517 eISSN 2029-8315

2021 (74) 10–13

Introduction

Présentation. « Le mot dans la langue et dans le discours : la construction du sens »

Vita Valiukienė
Institute of English, Romance and Classical Studies
Department of French Philology
Vilnius University
Universiteto st 5
LT-10223 Vilnius, Lithuania
E-Mail: vita.valiukiene@flf.vu.lt

Antoine Culioli dans son ouvrage Pour une linguistique de l’énonciation (1980) écrivait : « Une linguistique qui ne rend pas compte de façon intégrée des problèmes que j’appellerai syntaxiques, sémantiques et pragmatiques n’a pas grand-chose à dire ». Toutes les propriétés linguistiques – configurationnelles, sémantiques, combinatoires, syntaxiques et morphologiques – doivent être prises en considération si l’on veut identifier la valeur du mot dans la langue et dans le discours.

Tel a été le credo du colloque international Le mot dans la langue et dans le discours : la construction du sens qui s’est déroulé les 17–18 septembre 2020 à l’Université de Vilnius et qui était organisé pour la première fois par deux équipes partenaires : le Département de philologie française de l’Université de Vilnius et le Département de français de l’Université de Białystok.

Le présent volume réunit quatorze articles issus de ce colloque. Ils se fondent sur des approches disciplinaires différentes et qui vont du morpho-lexical à la pragmatique, en passant par le sémantico-cognitif et même par la métalinguistique.

Le premier article rédigé par Thomas Bertin accorde déjà une place importante à la notion dite « compositionnalité holiste ». Dans cette perspective, l’auteur cherche à mettre au jour le mécanisme de construction du sens des locutions à contrecœur, de bon cœur et de tout cœur. En s’appuyant sur des échantillons empruntés à la langue française usuelle, il cerne au plus près leur sens (en contexte) tout en démêlant les contributions sémantiques de chaque unité lexicale en présence. L’article suivant montre que les sens multiples des mots francophonie/francophone, plus particulièrement les différentes configurations sémantiques qui leur sont attachées peuvent être vues comme des reconfigurations d’une signification lexicale unique. Son auteure Ana-Maria Cozma part de la perspective sémantique argumentative. En analysant le verbe français tomber, Joanna Cholewa se base sur la conviction que la signification du mot est conceptuelle et qu’elle rend compte du monde regardé, et non du monde réel. Les référents de ce dernier sont toujours perçus à travers le filtre des représentations véhiculées par la langue et la structure sémantique d’un mot est le résultat de ces représentations. L’invariant de baisser est indéniablement le mouvement vers le bas : tous les emplois l’expriment, mais il est conceptualisé de différentes manières : tout d’abord comme un déplacement d’une entité vers le bas dans l’espace physique (dans le cas des emplois locatifs), mais aussi comme une diminution suivant une échelle : de la valeur quantifiable, de la sonorité, luminosité, intensité ou qualité, de la force physique et de la qualité.

En analysant les adjectifs admirable, monumental, grand, Jan Goes emploie le terme de la syncatégorématicité au lieu de la polysémie. En rappelant leurs particularités (l’adjectif est gradable, épithète antéposé ou postposé, attribut), l’auteur démontre que l’adjectif emprunte une grande partie de son sens et de son comportement au substantif support. La recherche menée par Ulfet Zakir oglu Ibrahim est consacrée à l’étude du raccourcissement des mots, notamment à la siglaison. L’auteur estime que l’existence et la persistance des sigles dans la presse sont dues à quatre raisons bien définies : le manque de temps, le manque d’espace, la profusion d’organismes et le phénomène de mode qui les compose. L’étude qui lui fait suite, celle de Agata Jackiewicz, présente l’esquisse d’un modèle linguistique s’inscrivant dans une méthodologie de repérage et d’analyse des nominations émergentes ou référentiellement instables, telles que : appropriation culturelle, harcèlement de rue, réfugié climatique ou écocide. Le travail en question s’inscrit dans le cadre scientifique conjuguant trois domaines disciplinaires principaux : le traitement automatique des langues, la sémantique et l’analyse de discours. La recherche Dominique Maingueneau porte sur l’ethos discursif. Le chercheur conclut que les adjectifs analysés dans le présent article – simple, doux, clair –, par leur polysémie, « saturent » le discours. À travers l’ethos, le discours ne persuade pas seulement par les idées qu’il transmet : il place les destinataires sur une scène de parole qui participe des propriétés sémantiques de l’univers idéologique que le discours cherche à promouvoir. L’objectif de l’étude de Aïno Niklas-Salminen est d’observer les mots anglais récemment introduits dans le Petit Robert de la langue française et les différents équivalents français conseillés pour les remplacer. L’auteure liste les anglicismes avec leurs équivalents français et pose une question rhétorique : est-ce que les recommandations officielles seront suivies par les locuteurs et les mots français se fixeront-ils dans l’usage ? Dans sa contribution, Iva Novakova s’intéresse à la notion de motif phraséologique pour la distinction des genres littéraires. Elle répond à la question de savoir si et comment la phraséologie étendue permet de distinguer les sous-genres de la littérature contemporaine à travers des constructions lexico-syntaxiques (CLS) récurrentes, statistiquement spécifiques à tel ou tel sous-genre. Margarita Rouski soumet à un examen la construction parenthétique comme je l’ai dit. L’auteure constate qu’elle participe à une stratégie discursive présentant plusieurs aspects et intégrant plusieurs objectifs. L’unité en question provoque une interruption du discours еt effectue une pause qui permet au locuteur de faire un retour en arrière et d’engager l’attention de l’interlocuteur avant de relancer l’énonciation. Dans leur contribution, Dina Savlovska, Dora Loizidou, Viktorija Ivanova ont pour but d’analyser les stratégies de communication utilisées par les apprenants de français langue étrangère dans les discussions interculturelles avec les pairs, menées sur la plateforme éducative “Moodle” lors d’un projet de télécollaboration associant deux groupes de participants : un groupe de l’Université de Lettonie et un autre de l’Université de Chypre. Elles cherchent à comprendre dans quelle mesure le dialogue interculturel est possible dans un forum de discussion institutionnel mettant en contact les interlocuteurs de zones géographiques éloignées. Les conclusions sont intéressantes : le dialogue n’est possible qu’autour des sujets très neutres et, si les participants sont prêts à partager leurs idées sur les voyages, les plats traditionnels de leur pays et d’autres messages valorisant leur milieu culturel, ils se montrent bien distants dans toute situation potentiellement conflictuelle. Maude Vadot analyse des modélisations sémantiques du paradigme intégration, insertion, assimilation, inclusion, acculturation, incorporation et il en arrive aux conclusions suivantes : une description sémantique ne devrait pas chercher à s’inscrire dans les définitions absolues mais dans celles qui délimitent le sens d’un terme par rapport à celui de ses quasi-synonymes. En l’occurrence, il faudrait pour cela prendre davantage en compte les usages politiques, sociologiques et professionnels des lexèmes dans un contexte où des enjeux sociaux se situent justement à cet endroit. Le travail de Vita Valiukienė et de Lina Dubikaltytė-Raugalienė vise à confirmer que le verbe français finir, faisant partie de différentes constructions morphosyntaxiques, peut véhiculer une grande plurivocité de sens. Tout en conservant sa signification basique de la fin, finir transmet un grand faisceau d’autres valeurs. La traduction de ce verbe français dans une langue génétiquement différente — le lituanien — a un double enjeu : confirmer les effets de sens canonique véhiculés par le verbe en question et son riche potentiel fonctionnel dans les textes littéraires français mais également contribuer aux recherches contrastives entre langues française et lituanienne très peu menées  jusqu’à aujourd’hui et ceci à des fins didactiques et traductologiques. On trouve finalement une analyse d’Elena Vladimirska, Jelena Gridina, Daina Turlā-Pastare. Le message de leur article est suivant : l’intégration didactique des marqueurs discursifs devrait se faire sur plusieurs axes, à savoir : sémantique, syntaxique et prosodique, et s’appuyer sur le corpus oral authentique de la langue parlée en tant qu’élément déclencheur. Éléments clés dans la construction de la position de l’énonciateur, les marqueurs discursifs conditionnent l’aisance linguistique du locuteur, la cohérence et l’étendue de son discours et remédient à la carence langagière.

Je tiens à remercier l’ensemble des auteurs pour la très grande et stimulante richesse de leurs contributions. Ma gratitude va également aux membres du Comité de lecture pour leur lecture attentive et particulièrement méticuleuse des textes reçus. Qu’ils sachent tous que, sans leur aide, ce recueil n’aurait pas vu le jour.

J’adresse enfin mes sincères remerciements à l’équipe éditoriale de la revue Kalbotyra et à tous les membres du Comité scientifique et du Comité d’organisation du colloque Le mot dans la langue et dans le discours : la construction du sens. Ils voudront bien trouver dans ces actes non seulement le témoignage de notre gratitude mais également le fruit d’un travail dont chacune et chacun d’eux furent les artisans.