Literatūra ISSN 0258-0802 eISSN 1648-1143

2022, Priedas, pp. 106–122 DOI: https://doi.org/10.15388/Litera.2022.64.4.7

André Malraux au cœur du musée imaginaire de Romain Gary

Jonathan Barkate
Université Gustave-Eiffel
Gustave-Eiffel University
jonathan.barkate@club-internet.fr

Résumé. Malraux est au centre du musée imaginaire de Gary. Il est souvent mentionné nominalement dans son œuvre et sa pensée y est régulièrement citée. Lorsqu’il fait allusion aux concepts malruciens de métamorphose et de Musée Imaginaire dans Pour Sganarelle, La Promesse de l’aube et La Danse de Gengis Cohn, Gary utilise la figure et les écrits de Malraux pour livrer sa vision du monde et sa conception du rôle de l’artiste. Étudier lesvo modelį į mentions faites à la personne et à la pensée de Malraux permet de lire l’œuvre de Gary au prisme des écrits de son aîné et révèle comment Gary se peint en « conquérant de l’impossible », tout en faisant incarner à son modèle ses aspirations esthétiques et éthiques. L’autoportrait de l’artiste en saltimbanque que brosse Gary le place dans les pas de celui qui a élevé l’homme en lui rendant sa condition plus acceptable.
Mots clés: Romain Gary, André Malraux, Musée Imaginaire, métamorphose, saltimbanque, condition humaine.

André Malraux at the Heart of Romain Gary’s Imaginary Museum

Summary. Malraux is in the center of Gary’s imaginary museum. His name and thought are regularly quoted in Gary’s work. When the author of Pour Sganarelle, La Promesse de l’aube and La Danse de Gengis Cohn refers to the metamorphosis and the museum without walls – two concepts Malraux invented –, he uses Malraux’s image and writings to reveal how himself sees the world and the artist’s role. To analyse those quotes leads to reading Gary’s work through the lens of Malraux’s. It also shows how Gary portrays himself as a « conqueror of the impossible » while making his model embody his own aesthetic and ethical aspirations. His selfportrait as a jumping jack makes Gary follow the path of his friend, who elevated Man by softening his condition.
Key words: Romain Gary, André Malraux, museum without walls, metamorphosis, joker, human condition.

André Malraux Romaino Gary įsivaizduojamo muziejaus centre

Anotacija. André Malraux yra Romaino Gary įsivaizduojamo muziejaus centre. Gary kūryboje Malraux nuolat minimas, jo mintys dažnai cituojamos. Kūriniuose „Sganareliui“, „Aušros pažadas“ ir „Čingio Kono šokis“ užsimindamas apie Malraux metamorfozės ir įsivaizduojamo muziejaus sąvokas, Gary naudojasi Malraux figūra ir raštais, kad pateiktų savąją pasaulio viziją ir perteiktų menininko vaidmens koncepciją. Malraux asmenybės ir jo minčių analizė leidžia pažvelgti į Gary kūrybą per jo vyresniojo kolegos raštų prizmę ir atskleidžia, kaip atrodo Gary, „įveikdamas neįmanomus dalykus“ ir priversdamas savo modelį įkūnyti jo estetines ir etines aspiracijas. Menininko kaip vaikščiotojo lynu autoportretas, kurį tapo Gary, daro jį pasekėju to, kuris išugdė žmogų, suteikdamas jam priimtinesnę būtį.
Reikšminiai žodžiai: Romain Gary, André Malraux, įsivaizduojamas muziejus, vaikščiotojas lynu, žmogaus būtis.

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Received: 15/02/2022. Accepted: 13/06/2022.
Copyright © Jonathan Barkate, 2022. Published by Vilnius University Press.
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Dans le musée imaginaire du natif de Vilnius, l’auteur de La Condition humaine occupe une place de choix. André Malraux est en effet souvent mentionné nominalement dans l’œuvre de Romain Gary, sa pensée y est régulièrement citée et le ministre du général de Gaulle y apparaît même comme un personnage de roman, dans un chapitre ajouté à la version américaine de La Tête coupable, The Guilty Head. À partir d’allusions au concept malrucien de musée imaginaire dans Pour Sganarelle, La Promesse de l’aube et La Danse de Gengis Cohn, il s’agira d’analyser comment Gary, très bon connaisseur de l’œuvre et de la pensée de son aîné, se les approprie et, ce faisant, les infléchit en les intégrant à ses propres textes. Il conviendra pour ce faire de montrer que Gary utilise la figure et les écrits de Malraux pour livrer sa vision du monde et sa conception du rôle de l’artiste. Outre qu’elle permettra de lire l’œuvre garyenne au prisme des écrits sur l’art du ministre des Affaires culturelles, cette étude des mentions faites à la personne et à la pensée de Malraux révélera comment Gary se peint en « conquérant de l’impossible1 », tout en faisant incarner à son modèle ses aspirations esthétiques et éthiques, c’est-à-dire sa quête de l’absolu, de sorte que l’autoportrait de l’artiste en saltimbanque donné à lire dans La Promesse de l’aube apparaîtra comme une façon de se placer dans les pas de son ami qui, parce qu’il a marié le roman, l’art et la métaphysique, a élevé l’homme en enchantant le monde, en lui rendant sa condition plus acceptable.

1. Pour Sganarelle et pour Malraux

Dans Pour Sganarelle, Gary théorise l’écriture romanesque tout en réglant ses comptes avec ses contemporains. Sous-titré Recherche d’un personnage et d’un roman, cet essai polémique publié en 1965 est conçu comme une réponse au manifeste de Robbe-Grillet, Pour un nouveau roman, paru deux ans plus tôt. À rebours du chef de file des nouveaux romanciers, Gary affirme la primauté de l’affabulation sur tout autre considération car elle seule permet de construire ce qui est au fondement du roman pour lui : une intrigue conduite par des personnages. Serviteur du roman comme Sganarelle sert Dom Juan, le romancier selon Gary doit emprunter au personnage de la Commedia dell’Arte sa fantaisie pour jouer de tous les possibles qu’offre le récit et pour soumettre la réalité à la fiction. C’est dans ce contexte que l’écrivain distingue ce qu’il appelle le roman total et le roman totalitaire. Seul le premier trouve grâce à ses yeux, dans la mesure où l’œuvre y est « le seul absolu », tandis que dans le roman totalitaire, qualifié aussi de « concentrationnaire », l’œuvre est soumise « à une directive philosophique absolue qui exclut ou minimise tout autre rapport de l’homme avec l’univers »2. Dans un cas, le roman est souverain ; dans le second, son univers n’est que le prétexte au déploiement d’une pensée exogène.

Malraux figure en bonne place dans la liste d’écrivains que cite Gary pour définir cette opposition entre roman total et roman totalitaire. Pour lui, l’auteur de La Condition humaine est en effet « le dernier romancier [français] à vocation totale3 », au sens où il subordonne toujours l’éthique à l’esthétique. Pour illustrer son propos, Gary commente à sa façon le fait que Malraux ait renoncé à écrire des romans après la Seconde Guerre mondiale. Ce faisant, il répond à l’explication donnée en 1964 par le sociologue marxiste Lucien Goldmann dans Pour une sociologie du roman selon laquelle Malraux a abandonné l’écriture romanesque quand il n’a plus eu foi en le marxisme.

Partant du postulat que le marxisme dans les romans de Malraux ne saurait être autre chose qu’« une technique de création d’un univers romanesque », Gary invalide le commentaire de Goldmann et conclut que « [l]e roman de Malraux n’était pas marxiste : il exploitait le marxisme dans un but de roman [sans être] englobé par et dans le marxisme »4. Pour Gary, le silence romanesque de Malraux après la guerre ne peut donc tenir qu’à une rupture avec les valeurs incarnées par le roman, dans lequel il ne voyait plus un moyen d’agir sur le monde et de le comprendre :

Malraux a renoncé au roman non point lorsque les valeurs du marxisme se sont écroulées à ses yeux, mais lorsque le roman s’est écroulé à ses yeux en tant que moyen d’exploration abyssale de la situation de l’homme, autrement dit, lorsque le besoin d’authenticité est devenu plus fort que le besoin du roman. […] Lorsqu’il lui est apparu qu’il n’était pas possible de trouver une réponse à la question dans et par le roman, et que le roman a cessé de l’intéresser parce que ce qui l’obsédait par-dessus tout, n’était plus la fiction, mais la recherche d’une réponse à la tragédie, c’est-à-dire la Solution. […] lorsque le besoin de comprendre, de se répondre et de résoudre est devenu chez lui beaucoup plus puissant que le besoin d’affabuler5.

Pour Gary, Malraux étant à la recherche d’une révélation métaphysique qui permettrait à l’homme d’échapper à sa condition, c’est cette quête d’authenticité qui l’a éloigné du roman parce que la fiction lui est apparue comme un obstacle et non plus comme un moyen de parvenir à résoudre le problème qu’il s’était proposé de dénouer. Privilégiant alors la réalité, Malraux s’est lancé dans l’action politique au service du général de Gaulle et il a substitué à l’écriture romanesque l’écriture factuelle et la réflexion sur l’art.

Gary explique ici le renoncement de Malraux à la lumière de son propre attachement à l’affabulation. Dans toute son œuvre en effet – depuis les contes que Dobranski lit à ses camarades dans la forêt polonaise d’Éducation européenne jusqu’aux exercices de mémoire auxquels se livre Ludo en imagination dans Les Cerfs-volants –, la fiction est le moyen le plus efficace de lutter contre la réalité mortifère et de dépasser les limites de la condition humaine. Pour autant, Gary reconnaît que Malraux a trouvé dans ses écrits sur l’art un autre moyen de composer un roman en conférant aux objets le rôle de personnages, ce qui l’amène à invalider encore le commentaire de Lucien Goldmann quand il s’amuse, persifleur, de ce que le sociologue qui célèbre pourtant « le roman “blanc”, celui où l’homme ayant déjà eu lieu, l’objet devient le personnage », ne s’aperçoit pas que « Les Voix du Silence sont avant tout une toile de fond romanesque où les grandes œuvres de l’art tendent à devenir des personnages et des sujets-objets[,] une fresque épique romanesque où les œuvres-objets occupent toute la place [et où l’homme] est entièrement dominé par ce qu’il a créé et par les rapports qui se nouent entre les objets de sa création6 ». Conscient que la recherche métaphysique de Malraux s’est incarnée dans ses écrits sur l’art, Gary voit dans cette nouvelle veine une poursuite par d’autres moyens de la même quête. C’est la raison pour laquelle il conclut que « [l]a rupture de Malraux avec le roman est une rupture avec le fictif7 ». Retournant complètement l’explication donnée par Goldmann, Gary révoque les deux idées reçues qu’elle comporte : ni l’abandon du marxisme ni celui du roman ne sont des ruptures complètes puisque Malraux a continué à mener ses combats politiques et ses ambitions littéraires en recherchant ce qui pouvait affranchir l’homme. Souligner cette constance dans les engagements de son ami n’empêche pas l’auteur de Pour Sganarelle de l’égratigner en contestant certains de ses choix car il ne reconnaît plus le romancier total dans l’homme, nécessairement incomplet, que Malraux est devenu lorsqu’il n’a plus visé l’authenticité par des moyens romanesques :

Il est donc dit ici que lorsque le romancier préside à la tribune un débat idéologique, s’il le fait comme créateur, il n’est pas là. Ce n’est pas notre homme, c’est un imposteur : Sganarelle est là divorcé de sa vérité, de son authenticité, de ce qu’il est dans sa totalité. Il séduit au nom d’un autre, de l’autre. Il se dresse sur le piédestal d’une autorité usurpée. Il ment. Qu’il se mette dans la salle, dans les rangs et il a tous les droits. Là-haut, sur cette estrade, c’est un charlatan authentique. Il a laissé derrière lui ce qui fait son authenticité, sa totalité, son visage véritable, sa nature profonde, et il se dresse ainsi sur l’œuvre d’un autre pour parler en son nom avec une autorité privilégiée à laquelle il n’a nul droit8.

Adepte du paradoxe, Gary considère que l’imposture pour un romancier réside dans un attachement contrenature à la réalité. Puisque son domaine est celui de la fiction, il ne saurait exprimer sa vraie nature dans un autre contexte. Ainsi, lorsque Malraux ministre s’exprime à la tribune, comme voix du R.P.F. ou comme orateur, il n’est qu’une part du vrai Malraux, du Malraux authentique et total, c’est-à-dire du romancier, dont il usurpe la place car l’homme qui parle ne le fait que grâce à la figure de romancier qu’il a été.

2. La Monnaie de l’absolu : le coût exorbitant de l’art et de l’idéal

Lecteur passionné de Malraux, Gary conserve, on le voit, une forme d’indépendance par rapport à son modèle, dont il commente les choix à la lumière de son propre engagement littéraire. Tout en reconnaissant l’influence que son aîné a eue sur son œuvre, il est capable de s’en affranchir. Au-delà du cas personnel de Malraux, Gary s’intéresse dans Pour Sganarelle à ce que l’art dit de la condition humaine. Pour lui comme pour Malraux, l’art est constitutif du rapport de l’homme au monde.

Cette idée est tellement centrale dans la conception métaphysique de l’art de Malraux que l’auteur de La Condition humaine la rattache à ce qu’il appelle l’antidestin. Malraux ne recherche pas uniquement la beauté dans une œuvre car l’art doit exprimer la grandeur de l’homme, c’est-à-dire la force qui lui permet de dépasser son destin au lieu de le subir, même s’il n’échappe finalement pas à la mort. Parce qu’il est « une rectification du monde, un moyen d’échapper à la condition d’homme9 », l’art s’oppose au destin de façon plus pérenne que l’engagement dans l’action. En effet, la création artistique a un pouvoir libérateur supérieur, dans la mesure où elle offre à l’homme la possibilité de créer un monde dans lequel il est absolument souverain, ce qui l’affranchit des contraintes du réel. En modelant librement son univers, l’artiste oppose au chaos et à l’absurdité du monde un moyen de s’arracher à sa condition, ce que Malraux appelle encore une antihistoire10. L’histoire n’ayant à ses yeux aucune valeur ordonnatrice, il trouve dans l’art une clé d’intelligibilité du monde totalement indépendante de la chronologie, car chaque œuvre, de quelque temps et de quelque lieu qu’elle vienne, peut dialoguer avec toute œuvre antérieure ou postérieure au sein du Musée Imaginaire.

Clef de voûte de ses écrits sur l’art et pilier de L’Homme précaire et la littérature, la métamorphose régit le Musée Imaginaire et « la bibliothèque intérieure11 », son pendant en littérature. Pour Malraux, les œuvres d’art d’une part et les œuvres littéraires d’autre part se sont affranchies du contexte spirituel et esthétique qui a présidé à leur création pour former un patrimoine immatériel où elles coexistent. Puisque tous les textes qui composent la littérature mondiale « sont simultanément présents pour nous12 », la chronologie est abolie, de sorte que les œuvres interagissent au sein du « Musée Imaginaire de la littérature13 ». La découverte des œuvres suit donc une temporalité propre, à rebours des histoires de la littérature : après avoir lu Mallarmé, on ne lit plus « Recueillement » comme le lisait Baudelaire14. Par conséquent, la littérature, comme l’œuvre d’art, « nous atteint dans un double temps qui n’appartient qu’à elle : celui de son auteur et le nôtre15 ». Ce double temps est la condition de la métamorphose, qui ne se réalise que parce que notre regard s’est enrichi de tout ce qui a été créé depuis l’époque de l’auteur.

Fidèle admirateur de Malraux, Gary connaît ses théories sur l’art et les évoque parfois. Dans un entretien de 1967, celui qui a préfacé deux catalogues d’artistes16, reconnaît sa dette à l’égard de son aîné en se recommandant des Voix du silence, qu’il présente comme le point de départ de sa propre réflexion sur l’art17. Dix ans plus tard, il consacre un texte à « Malraux, conquérant de l’impossible » pour le catalogue de l’exposition organisée à la Chancellerie de l’ordre de la Libération, quelques mois après la mort de l’ancien ministre. Ce texte est aujourd’hui recueilli dans Ode à l’homme qui fut la France. Malraux y est salué pour avoir été « acharné à chercher une éthique dans l’esthétique18 », c’est-à-dire pour avoir été « continuellement à la recherche de […] l’honneur d’être un homme19 ». Pour Gary, les écrits sur l’art de Malraux sont empreints d’une dimension humaniste car l’auteur assigne à la culture la mission de combler le néant qu’affronte l’homme, indépendamment de tout engagement politique, dans la mesure où les artistes ont le pouvoir de changer les mentalités et les sociétés en élevant les esprits et en rendant cette élévation incompatible avec la misère humaine. La culture, pour Gary, qui revendique l’« approbation tacite » de Malraux, c’est « l’œuvre de Renoir exigeant la fin des taudis, dont la sensibilité du peintre ne s’est jamais émue [et] c’est ce qui, dans Giotto, se met à lutter aujourd’hui contre la sous-alimentation dans le monde »20. En élisant des œuvres comme celles de Renoir ou de Giotto pour reconnaître que l’art a un pouvoir dès lors qu’il ne cherche pas à délivrer de message, Gary sait gré à Malraux de ne pas avoir prôné un art engagé, et il lui rend grâce d’avoir favorisé une large diffusion de la culture, par ses écrits sur l’art et par son action au Ministère des Affaires culturelles, pour rendre scandaleux tout ce qui menace l’être humain. La culture conduit par conséquent à « ce que Malraux entendait par la “métamorphose de l’art” » : les « monstres sociaux de Balzac ou de Dickens […] perdent la société qui leur a donné naissance »21, comme les temples et les statues antiques perdent leur caractère religieux, pour n’être plus considérés, les uns comme les autres, que comme des œuvres d’art et non plus comme des calques de l’état civil ou des symboles de dévotion.

Si elle est fondée sur une bonne connaissance de l’œuvre du ministre écrivain d’art, cette présentation en propose une relecture qui permet à Gary d’exprimer sa propre vision de l’art, dont certains aspects diffèrent radicalement de celle de Malraux. Le désaccord le plus important entre les deux hommes repose sur la notion de métamorphose. Lorsqu’il s’élève contre la conscience supérieure de l’art telle que son aîné la définit en affirmant que Guerre et Paix « a fait tout pour la littérature mais rien contre la guerre22 », Gary prend l’exact contrepied de la perspective donnée dans La Tête d’obsidienne : « Un supplice peint par Goya n’appartient plus aux supplices mais à la peinture23 », parce qu’il déplore que l’art efface la souffrance en l’exploitant. Ce qui paraît à Malraux un aboutissement semble une impasse à Gary, qui considère que l’art dénature les horreurs de la guerre en les transformant en œuvres. Quand la guerre devient une source d’inspiration artistique, on en oublie les atrocités, ce qui a pour effet de dissocier l’éthique et l’esthétique. La métamorphose qui consiste à détacher la guerre et les supplices du contexte qui les a vus naître pour en faire des œuvres dignes d’admiration révulse Gary, qui vitupère contre les artistes et les écrivains qui trahissent ainsi l’humain en déguisant la souffrance en beauté pour exploiter l’histoire sur le plan artistique, comme il le montre dans La Danse de Gengis Cohn, roman dont le héros est un dibbuk, c’est-à-dire l’esprit d’un juif exterminé à Auschwitz qui hante son bourreau :

Je crains qu’à force de nous griser de culture, nos plus grands crimes s’estompent complètement. Tout sera enveloppé d’une telle beauté que les massacres et les famines ne seront plus que des effets littéraires ou picturaux heureux sous la plume d’un Tolstoï ou le pinceau d’un Picasso. Et dans la mesure où quelque charnier, soudain entrevu, trouvera aussitôt son expression artistique admirable, il sera classé monument historique et ne sera plus considéré que comme une source d’inspiration, du matériau pour Guernica, la guerre et la paix devenant, pour notre bonheur, Guerre et Paix24.

En formulant ainsi sa crainte que la transposition artistique fasse passer l’événement et son horreur au second plan, Gary expose les limites de l’art et de la littérature, en même temps qu’il met en garde contre le risque d’oublier les atrocités de l’histoire ainsi édulcorées par les artistes. Pour lui les victimes d’événements historiques meurtriers sont menacées par l’oubli car la jouissance esthétique produite par l’œuvre l’emporte sur le scandale de son origine. Il déplore que la métamorphose se produise à rebours de celle que Malraux a théorisée : alors que les dieux ont perdu leur caractère sacré en passant du temple au musée, les souffrances humaines perdent leur réalité parce que les œuvres qui s’en inspirent sont sacralisées par les artistes et les amateurs d’art. Dans ce cas, l’entrée au musée ne marque pas une laïcisation mais une sanctification qui fait oublier la matière à l’origine des œuvres. Si bien que, pour Cohn, la seule raison pour laquelle « on parle toujours d’Auschwitz, c’est uniquement parce que ça n’a pas encore été effacé par une belle œuvre littéraire25 ». L’art a donc une dimension révoltante car il oppose à la sombre réalité sa beauté indécente, incarnée pour Gary par la Joconde, dont Malraux fait l’emblème du Musée Imaginaire :

C’est assez curieux, les chefs-d’œuvre, vous ne trouvez pas ? Vous ne trouvez pas qu’ils ont quelque chose de dégueulasse ? […] Mettez-vous dans un trou qu’on vous aura fait creuser en famille, regardez les mitraillettes et pensez à la Joconde. Vous verrez que ce sourire… Tfou. Ignoble26.

Condamnant l’idéalisation aveugle née de la contemplation de chefs-d’œuvre comme la Joconde qui fait perdre aux amateurs d’art le sens des réalités, Gary l’assimile à « du vandalisme27 », ce qui explique les nombreuses références ironiques au Musée Imaginaire, qui symbolise toutes les exactions dont l’homme s’est rendu coupable au fil des siècles. Mentionné à plusieurs reprises, le concept malrucien est presque systématiquement associé à la célèbre formule dans laquelle de Gaulle assimile la France à « la princesse des contes ou [à] la Madone aux fresques des murs28 », au début de ses Mémoires de guerre. La double citation revient comme une antienne dans le roman, alors que de Gaulle est président de la République et Malraux ministre d’État depuis près de dix ans. Comme si le mythe et l’idéal avaient pâti de leur collusion avec le réel et avec l’exercice du pouvoir, les mentions de « la madone des fresques » et de « la princesse de légende »29 désignent l’absolu souillé par la réalité mortifère du monde guerrier que représente l’insatiable Lily au nom de laquelle des millions d’hommes sont tués. À cet égard, la beauté et l’idéal que la jeune femme est censée incarner ne sont bonnes qu’à produire des œuvres d’art dénaturées :

Des blessés viets soutenus par des G.I. morts errent à la recherche d’un coin encore libre du Musée imaginaire où ils pourraient se fourrer. […] il manquait justement un peu de rouge au front de la madone des fresques et de la princesse de légende. […] Les places sont si chères au Musée imaginaire qu’on commence même à refuser des cadavres. […] L’art abstrait triomphe partout : le napalm fait si bien les choses, qu’on ne distingue plus un œil, plus un nez, plus un sein, c’est vraiment la fin du figuratif30.

Comme souvent, Gary est pris en étau ici entre son idéalisme né de la Résistance, dont les citations gaulliennes sont une trace, et son désespoir face à la folie du monde. Les horreurs commises au Vietnam par les Américains ont remplacé les atrocités perpétrées par les nazis qu’ils combattaient pourtant naguère encore. Lui-même victime de la Shoah, le dibbuk constate que la nouvelle hécatombe ne peut que dégrader encore l’humanité qu’aucun Musée imaginaire ne saurait racheter. Gary regrette ainsi que la princesse et la madone n’aient pas tenu leur promesse.

Le concept repris à Malraux et l’expression issue des mémoires du général de Gaulle voient leur sens légèrement infléchi car Gary y recourt pour affirmer que la mémoire collective au fondement du Musée Imaginaire fait cohabiter les victimes et les bourreaux, les innocents et les coupables, de sorte que l’inhumanité des uns altère l’humanité des autres, entachant ainsi la pureté de la madone des fresques. Gary considère cette fraternité comme une espèce de métamorphose car elle met en présence des êtres qui se ressemblent et des hommes que tout oppose, les uns et les autres exerçant entre eux la même influence réciproque que les œuvres d’art chez Malraux.

Suspect aux yeux de Gary, l’art est systématiquement décrit dans La Danse de Gengis Cohn comme un marché dont la valeur fluctue au gré du nombre de victimes nécessaire à la réalisation d’une œuvre. Allégorie de la Mort, Florian parle comme un artiste qui travaille sur commande. Il se vante auprès de Cohn de ce que chaque « grande fresque historique » lui a rapporté – « pour Stalingrad, ils m’ont payé trois cent mille. Les Juifs ont craché six millions » –, avant d’assimiler la guerre d’Espagne à Guernica, dont il regrette qu’il lui en ait coûté trois ans de travail pour un prix de revient décevant – « Un million et demi. Ce n’était pas une affaire. » –, alors que la guerre civile a été « une de [s]es œuvres maîtresses », dans laquelle il avait « [t]out » mis : « l’Espagne, la cruauté, Goya, la lumière, la passion, le sacrifice »31. En faisant reposer les propos de son personnage sur le double sens du substantif fresque, Gary présente l’histoire de l’humanité comme une histoire de l’art macabre dont le prix se paie en vies humaines mais dont la représentation est égayée par un pittoresque qui en atténue l’horreur. C’est précisément ce que refuse de cautionner le Christ quand il apparaît dans le roman : pour lui, sauver une nouvelle fois l’humanité après Auschwitz serait inutile parce que, dit-il à Cohn, les hommes « ne changeront jamais », ce qu’il résume par une pensée désabusée : « Tout ce que cela donnerait, c’est encore quelques commandes pour les musées »32. Non seulement l’art dénature les souffrances humaines en les représentant, mais il se nourrit d’elles de façon cynique sans jamais arrêter le cours mortel de l’histoire, parce que ni l’art ni la littérature ne peuvent changer le monde.

En condamnant aussi fermement l’impuissance de l’art, Gary témoigne en réalité de ses espoirs déçus d’écrivain idéaliste. Sa conception de l’art repose en effet sur un paradoxe. Si, d’une part, il réprouve l’attitude élitiste et lâche consistant à chercher dans l’art un refuge qui préserve l’image idéale du génie humain et qui occulte les misères de l’homme au profit de la contemplation esthétique, il se désole d’autre part que la culture échoue à sauver l’humanité alors qu’elle apparaît comme une ressource qui permet d’affirmer la dignité humaine au cœur des ténèbres, comme le fit le jeune auteur d’Éducation européenne en même temps qu’il combattait le nazisme. En matière d’art, pour Gary, tout est affaire d’équilibre entre l’éthique et l’esthétique : bien qu’elle n’infléchisse pas le cours de l’histoire, la création artistique peut changer la sensibilité des hommes qui, en contemplant les œuvres de Renoir ou de Giotto, perçoivent « la beauté, c’est-à-dire […] la justice33 ». En associant ainsi justice et beauté, Gary lie dans une même aspiration vers l’absolu la recherche du chef-d’œuvre et la défense de principes moraux car la création et la morale sont pour lui deux manifestations du même combat contre ce qui menace l’être humain. C’est pourquoi, malgré ses réserves sur l’utilité de l’art, il a écrit des œuvres dans lesquelles il regrette l’impuissance de la création artistique.

Gary a donc une conception ambiguë de l’art. Son amertume exprime sa frustration de constater l’efficacité indirecte et à retardement d’œuvres qui risquent toujours d’être réduites à leurs qualités esthétiques, mais la création, héritée de son engagement dans la Résistance, s’apparente toujours chez lui à « une déclaration de dignité34 », c’est-à-dire une valeur en soi. Dans La Promesse de l’aube, Gary reprend cette formule, qu’il applique aussi à l’humour, au moment où il évoque ses efforts pour continuer à jongler après tant d’années à poursuivre l’absolu en vain. En choisissant le jonglage comme incarnation de la création artistique, l’auteur place celle-ci à l’aune de l’éphémère et de l’incertain, à la frontière ténue entre la perfection et l’inachèvement, puisque le jongleur est sans cesse en quête de la prouesse ultime qui le fera définitivement triompher de sa condition. Toujours précaire et incertaine, sa victoire ne peut être que temporaire et préluder à son échec, si bien que le jonglage est une parfaite illustration des limites de la condition humaine et de l’impuissance de l’artiste, incapable de saisir « la dernière balle35 », la seule qui lui importe. L’image du jonglage subordonne la réflexion esthétique à des questions d’ordre éthique, dans la mesure où la création est envisagée dans son rapport à l’idéalisme. La réussite artistique se mesure donc pour Gary au degré de dignité que l’artiste a visé. On retrouve ici la conception malrucienne de l’art comme « rectification du monde [et] moyen d’échapper à la condition d’homme36 ». Quoi qu’il pense de ses dérives, l’art a chez Gary « vocation à racheter le monde37 », comme l’écrit Anny Dayan-Rosenman. C’est finalement ce à quoi se livrent tous ses personnages doués d’un talent créateur, de Dobranski lisant des contes à ses camarades dans la forêt polonaise d’Éducation européenne jusqu’à Ludo se livrant à des exercices de mémoire en imagination dans Les Cerfs-volants.

3. Autoportrait de l’artiste en saltimbanque

L’image du jongleur, cet autre avatar de Sganarelle, que Gary utilise tantôt pour décrire sa quête d’absolu tantôt pour évoquer la réflexion métaphysique de Malraux, agrège parfaitement les réflexions de l’auteur sur l’art et sur la condition humaine. Elle permet surtout de livrer un autoportrait de Gary au miroir de Malraux.

Dans La Promesse de l’aube, Gary réalise ce que Jean Starobinsky appelle un « autoportrait travesti38 » dans l’ouvrage qu’il a intitulé Portrait de l’artiste en saltimbanque. L’auteur travesti en jongleur parle clairement de lui mais, ce faisant, il fait aussi de Malraux un personnage à part entière. Alors qu’il propose une réflexion sur l’idéal, Gary repense aux exercices d’adresse auxquels il se livrait enfant :

Je jonglais […] avec tout ce qui me tombait sous la main ; mon besoin d’art, de perfection, mon goût de l’exploit merveilleux et unique, bref, ma soif de maîtrise, trouvait là un humble mais fervent moyen d’expression. Je me sentais aux abords d’un domaine prodigieux, et où j’aspirais de tout mon être à parvenir : celui de l’impossible atteint et réalisé. Ce fut mon premier moyen conscient d’expression artistique, mon premier pressentiment d’une perfection possible et je m’y jetai à corps perdu39.

Il est bien question de travestissement au sens où l’entend Starobinski, dans la mesure où Gary utilise la figure du jongleur pour donner une image de lui-même et de la condition de l’art40. Première forme d’expression artistique, le jonglage fait découvrir à l’enfant que la quête de maîtrise et de perfection assigne à l’artiste la mission de dépasser les limites de la condition humaine. En cela, l’écrivain saltimbanque réalise le programme énoncé par le critique suisse qui constate que « le monde du cirque et de la fête foraine est comme un rêve éveillé qui offrirait, en pleine lumière, l’évidence de l’impossible41 », avant d’ajouter, citant Banville en italiques :

Entre l’adjectif possible et l’adjectif impossible, le mime a fait son choix ; il a choisi l’adjectif impossible. C’est dans l’impossible qu’il habite ; ce qui est impossible, c’est ce qu’il fait. Les peintres et les écrivains du début du XXe siècle iront à la source : ils exploreront activement l’impossible42.

Gary l’a bien compris qui ne se peint en « conquérant de l’impossible43 » que pour imiter Malraux, le grand modèle à qui il a donné ce nom, le seul qui ait touché du doigt la « fin de l’impossible44 » à laquelle aspire l’auteur de Gros-Câlin. C’est pourquoi, après avoir été brutalement confronté à son échec, incapable qu’il était de « dépasser la sixième balle » et sentant que « [l]e chef-d’œuvre demeurait inaccessible, éternellement latent, éternellement pressenti, mais toujours hors de portée » parce que « la dernière balle n’existait pas »45, Gary fait de Malraux le symbole de la condition humaine :

Lorsque je vois Malraux, le plus grand de nous tous, jongler avec ses balles comme peu d’hommes ont jonglé avant lui, mon cœur se serre devant sa tragédie, celle qu’il porte écrite sur son visage, au milieu de ses plus brillants exploits : la dernière balle est hors de sa portée, et toute son œuvre est faite de cette certitude angoissée46.

Au-delà des qualités de jongleur que le cadet reconnaît à son aîné, l’hommage tient à ce que le grand écrivain ne cesse de s’atteler à une tâche qu’il sait irréalisable. L’impossible quête que s’est assignée Malraux témoigne à la fois de la grandeur et de la misère de l’homme : limité par son état de mortel et par la certitude que son entreprise est vaine, il n’en essaie pas moins d’outrepasser sa condition. Pour Gary, qui affirme continuer à jongler à quarante ans passés avec trois balles, « [c]’est une simple déclaration de dignité47 » qui rend la dimension tragique de l’échec plus acceptable et qui empêche l’homme de sombrer dans le désespoir. Dans Ode à l’homme qui fut la France, Gary formule autrement cette idée selon laquelle le portrait de l’artiste en saltimbanque révèle la noblesse qu’il y a à viser une grandeur inatteignable. S’intéressant au discours du général de Gaulle, « cet actor et auctor de génie48 » qui « a incarné, comme on le dit d’un acteur, dix siècles d’histoire de France49 » en « utilisant les ingrédients histrioniques de base50 », l’écrivain note :

[…] ce sempiternel étudiant de l’histoire savait qu’un idéal de « grandeur », cet idéal fût-il inaccessible et sublimé, souvent mystique sinon purement verbal, constitue un but qui laisse, s’il est poursuivi avec toute l’ardeur de l’esprit et du cœur, dans le sillage même de notre échec à l’atteindre, quelque chose qui ressemble fort à une civilisation51.

Démarche résolument artistique reposant, comme au théâtre, sur un usage performatif de la parole, la geste gaullienne est profondément optimiste : bien qu’elle ne constitue pas une « victoire de l’homme sur sa condition52 », elle l’aide à vivre et l’ennoblit. Pour Gary, qui rapproche les deux hommes qu’il admire le plus, « De Gaulle et Malraux étaient des conquérants de l’impossible, en ce sens qu’ils exigeaient de l’homme ce que celui-ci ne pouvait obtenir que de l’art ou du mythe53 ». Résistance symbolique à la fatalité, leur conquête n’a pas été absolument vaine car elle a révélé « l’honneur d’être un homme » : cette formule, qui donnait son titre original à l’article republié dans le recueil posthume, consacre l’élévation de l’homme par sa confrontation à l’impossible. À leur manière, de Gaulle et Malraux ont enchanté le monde comme l’ont fait les baladins, les jongleurs et les illusionnistes qui apparaissent dans Les Mangeurs d’étoiles (1966) et dans Les Enchanteurs (1973)54.

L’autoportrait de Gary est travesti à deux niveaux dans son autobiographie romancée, La Promesse de l’aube, puisque, non content de se représenter en jongleur, l’auteur se peint au miroir du « mime universel55 » qu’est, pour lui, Malraux. Le glissement de son autoportrait au portrait du « plus poignant mime de l’affaire homme56 » conduit Gary à reconnaître sa dette à l’égard de son ami :

Cette pensée fulgurante, condamnée à se réduire à l’art, cette main tendue vers l’éternel et qui ne peut saisir qu’une autre main d’homme, cette merveilleuse intelligence, obligée de se contenter d’elle-même, cette aspiration bouleversante à percer, à deviner, à franchir, à transcender, et qui ne parvient finalement qu’à la beauté, ont été, pour moi […] un fraternel encouragement57.

Comparé à Chaplin, Malraux est pour Gary l’artiste qui a le mieux montré les limites de la condition humaine tout en ayant été le plus inspiré à tenter de s’en affranchir. S’il a échoué à donner un sens supérieur à l’existence, du moins a-t-il atteint la beauté, ce qui fait de lui un mangeur d’étoiles, un clown lyrique, un enchanteur. Gary synthétise les éléments du portrait du romancier, du penseur et de l’écrivain d’art dans « Malraux, conquérant de l’impossible ». L’article s’ouvre sur un souvenir de 1935 probablement inventé où Malraux vise une balle dansant sur un jet d’eau dans une baraque de tir forain avant de devenir lui-même « à la fois balle bondissante et fontaine jaillissante58 ». L’image est reprise à la fin du texte pour être appliquée à l’homme, « cette petite balle […] bondissant sans cesse vers un logos inaccessible sur la fontaine qu’il est lui-même59 », c’est-à-dire un être incapable de se comprendre et de comprendre le monde qui l’entoure parce qu’il n’est qu’un objet mu par une force exogène incontrôlable. Allégorie de la vision du monde métaphysique de Malraux, la scène du tir forain révèle qu’« [i]l sera sans doute toujours impossible de parler de compréhension lorsqu’on parle de la condition humaine, mais [que] Malraux est monté plus haut dans l’incompréhension que n’importe qui », étant donné que sa « conception de la vie et de la mort […] était peut-être moins la recherche d’un sens qu’une empoignade perpétuelle et poignante avec son absence »60. Pensant à ce que Malraux a appelé la lutte avec l’ange ou l’antidestin, Gary y voit l’unique mission assignée à l’art. Il reprend la figure ambiguë du saltimbanque pour sacraliser l’écrivain de façon paradoxale. Terminant l’éloge de Malraux, il compare la pensée virtuose du grand homme à un exercice d’équilibrisme :

La conversation de Malraux consistait à vous placer à ses côtés, d’égal à égal, sur la rampe de lancement, à bondir aussitôt vingt fois sa propre hauteur en effectuant trois doubles sauts périlleux et un vol plané par-dessus la charpente dialectique du discours, et à vous attendre à l’autre bout de l’ellipse avec une formule-conclusion éblouissante, appuyée par un regard complice qui vous interdisait de ne pas comprendre et de lui demander par où il était passé pour arriver là61.

Comme il s’extasiait d’avoir vu, dans La Promesse de l’aube, le grand jongleur Rastelli « un pied sur un goulot de bouteille, faire tourner deux cerceaux sur l’autre pied replié derrière lui, tout en tenant une canne sur son nez, un ballon sur la canne, un verre d’eau sur le ballon, et jonglant en même temps avec sept balles62 », Gary fait de Malraux un acrobate de la pensée. Véritable saltimbanque par sa façon de manier les idées et les mots, cet artiste complet n’était pas loin d’accéder à une vérité supérieure : « Si l’univers était capable d’une réponse, c’est à cet homme-là qu’elle [sic] l’aurait donnée63. » Malraux serait alors sorti de sa condition et aurait guidé ses semblables vers les hauteurs qui lui auraient été révélées.

Ne pouvant faire que l’impossible fût possible, Gary a fait de Malraux un personnage de roman. Dans The Guilty Head (1969), version américaine de La Tête coupable (1968), un chapitre ajouté le voit prendre part à une réunion de crise au cours de laquelle le colonel chargé de surveiller le titulaire de la chaire de physique nucléaire du Collège de France rapporte au doyen du Collège et à Malraux qu’il a retrouvé le professeur Mathieu, père de la bombe atomique française, en Polynésie sous une fausse identité. Dans ce chapitre incongru mais non dénué de révérence pour « l’un des plus grands écrivains du siècle64 », le romancier s’amuse : écrivant en anglais, il sait que ni Malraux ni ses lecteurs français n’auront connaissance du texte lorsqu’il paraîtra aux États-Unis. La présence étonnante du ministre des Affaires culturelles dans un tel contexte va pourtant s’éclairer et consonner avec le portrait qui est fait de lui dans La Promesse de l’aube. Intitulé « Tricolor65 », le chapitre fait de Malraux le garant de l’image de la France. Fidèlement représenté avec ses tics66 et son obsession des faits et des preuves67, le ministre reprend le colonel lorsque celui-ci suggère d’éliminer Mathieu s’il envisage de passer à l’ennemi :

“Needless to say, we have no such intention,” he added lamely. “France –”

“Right, France,” Malraux cut in in a dry, razor-sharp voice. “May I ask you to keep that word in mind?”

Monsieur le ministre,–”

Malraux was glaring at him furiously68.

Ministre d’État du général de Gaulle, Malraux ne saurait tolérer que la patrie des Droits de l’Homme se livre à un acte si abject. Gary se montre acerbe en plaçant ces mots dans la bouche de son personnage car le roman regorge d’espions et de barbouzes à la solde de toutes les grandes puissances, France comprise, à une époque où le S.A.C. se charge des basses besognes de la République gaullienne69. Mais si Malraux apparaît dans le roman et s’il reconnaît une certaine lumière dans le regard de la personne représentée sur la photo que le colonel lui présente comme celle du professeur Mathieu après ses opérations de chirurgie esthétique70, c’est pour faire à son tour le portrait de l’artiste en saltimbanque. Pour lui, le physicien nucléaire est sans aucun doute un artiste auquel il ne manque pas de s’identifier. Saltimbanque lui-même, Malraux se reconnaît en effet dans l’incapacité de Mathieu à « contrôler son besoin de créer », qu’il compare à une « pulsion artistique »71. C’est pourquoi, répondant sèchement au colonel qui prend la fuite du professeur pour une preuve de son déséquilibre, l’écrivain-ministre se livre à un développement sur les poètes qui pourrait tout aussi bien le concerner que s’appliquer à Mathieu :

“Poets have always been laughed at as ‘unbalanced’ throughout the ages, or, in contemporary language, frowned at as security risks”, Malraux said curtly. “[Mathieu has] always considered himself as a poet. For him scientific research was pure, disinterested pursuit of poetry, of ‘cosmic music’, in his own words72.”

En dépit de leurs conséquences mortifères, Mathieu a toujours conduit ses recherches nucléaires comme une façon de se confronter à l’énigme cosmique posée à l’homme par le monde dans lequel il vit. Pour Malraux, il a travaillé en poète et en poète d’autant plus désintéressé qu’il a très vite constaté son impuissance. Au moment de formuler la défaite de Mathieu, Gary place dans la bouche de Malraux une expression voisine de celle qu’il avait employée dans La Promesse de l’aube pour qualifier la détresse de Paganini rejetant son violon pendant des années parce qu’« il savait73 » : « He knows that he will never know74. » Dans le premier cas, l’emploi intransitif, dans l’autre, le polyptote et le retournement de l’affirmation à la négation, expriment la seule certitude accessible à l’homme, jadis formulée par Socrate ou Montaigne, celle de ne rien pouvoir savoir dans un monde insondable. Et Malraux de conclure :

No matter how far we search within the universe, the essential answer, or question, that of man’s nature, place, and role within it, remains as much a question mark as in prehistory75.

Il n’est pas indifférent que le romancier ait confié à Malraux, l’auteur de La Condition humaine et l’écrivain qui a marié le roman, l’art et la métaphysique, le soin de dire que le mystère de la condition humaine est impénétrable, étant donné qu’il ne saurait y avoir de réponse satisfaisante à l’interrogation fondamentale. Aussi génial soit-il et quel que soit son domaine d’expertise – la littérature, la musique, le cirque, l’histoire ou la physique nucléaire –, l’artiste sait : il connaît ses limites, il sait qu’il ne peut rien révéler et qu’il ne peut s’affranchir de la condition humaine. C’est ce qu’ont compris Malraux, Paganini, Rastelli, de Gaulle, Mathieu – et Gary qui écrit sur eux tous et qui se projette en chacun d’eux. Le double travestissement opéré par l’auteur de La Promesse de l’aube – son portrait en jongleur, admirateur de Malraux le jongleur – est constamment dédoublé tant il s’identifie à des figures d’artistes variées qui, par leurs précieux efforts, ont élevé l’homme en enchantant le monde, c’est-à-dire en lui rendant sa condition plus acceptable. Dans The Guilty Head, le travestissement est même triple puisque Gary fait le portrait de Malraux faisant lui-même le portrait de Mathieu.

L’art est pour Malraux et pour Gary un moyen de dépasser la condition humaine. Tous deux ont conscience des limites de son pouvoir – et Gary se montre bien plus critique que Malraux à cet égard –, mais tous deux considèrent que la création artistique est nécessaire à l’homme même si elle n’arrête ni les guerres ni la mort, parce qu’elle est chargée d’une dimension morale qui en fait tout le prix. Qu’ils envisagent l’art comme un antidestin ou comme un moyen de conjuguer l’éthique et l’esthétique, Malraux et Gary sont d’accord pour y voir ce que l’un appelle « la qualité de l’homme76 » et ce que l’autre nomme « l’honneur d’être un homme77 », c’est-à-dire l’affirmation de la dignité humaine.

En plaçant le Malraux romancier et écrivain d’art au cœur de son musée imaginaire, Gary fait de son mentor un double littéraire dont il prend la défense et dont il met en scène la faculté à jongler avec les idées. Rendant hommage à son aîné, il mesure sa propre pensée et son œuvre à l’aune de celles du grand homme et, par là même, invite à lire le corpus malrucien à la lumière de ce qu’il a lui-même écrit, conformément à la définition que donne Malraux de la métamorphose, c’est-à-dire une histoire de l’art et une histoire littéraire qui se lisent à rebours de la chronologie, « de Verlaine à Villon, non de Villon à Verlaine78 ». Suivant ce précepte énoncé dans L’Homme précaire et la littérature, il convient de voyager aussi bien de Malraux à Gary que de Gary à Malraux.

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1 Forgée par Gary pour rendre hommage à Malraux, l’expression donne son titre à un article consacré à l’ancien ministre recueilli dans Ode à l’homme qui fut la France, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2000 [1997], p. 91-97.

2 Romain Gary, Pour Sganarelle [1965], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2003, p. 21-22.

3 Ibid., p. 36.

4 Ibid.

5 Ibid., p. 404-405. C’est Gary qui souligne.

6 Ibid., p. 402-403.

7 Ibid., p. 405. C’est Gary qui souligne.

8 Ibid., p. 449.

9 André Malraux, Les Noyers de l’Altenburg [1943], dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1996, p. 680.

10 Roger Stéphane, André Malraux, entretiens et précisions, Gallimard, 1984, p. 102-103.

11 André Malraux, L’Homme précaire et la littérature [1977], dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. VI, 2010, p. 843.

12 Ibid., p. 903.

13 Ibid., p. 876.

14 Ibid., p. 769.

15 Ibid., p. 769.

16 Romain Gary, Préface à l’exposition de Claude Garanjoud, 1974, et Préface au Dernier Souffle de Socrate (Peinture)/Jan Meyer, Paris, Galerie de la Pochade, 1976. Cité par Carine Perreur, « Traduction, réécriture et adaptation chez Romain Gary : un roman peut en cacher un autre », dans Julien Roumette, Alain Schaffner, Anne Simon (dir.), Romain Gary, une voix dans le siècle, Paris, Honoré Champion, 2018, p. 171.

17 K.A. Jelenski, « Entretien avec Romain Gary », Livres de France, n° 3, mars 1967, p. 6. Cité par Carine Perreur, ibid.

18 Romain Gary, « Malraux, conquérant de l’impossible », op. cit., p. 91.

19 Ibid., p. 92-93.

20 Ibid., p. 94.

21 Ibid.

22 Romain Gary, La nuit sera calme [1974], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1976, p. 88-89.

23 André Malraux, La Tête d’obsidienne, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. III, 1996, p. 702.

24 Romain Gary, La Danse de Gengis Cohn [1967], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1995, p. 61.

25 Ibid., p. 189.

26 Ibid., p. 45. Judith Kauffmann rappelle que la Joconde fut la cible privilégiée de l’iconoclasme surréaliste, avec Marcel Duchamp, qu’elle apparut en prostituée dans Guignol’s Band de Céline et qu’elle inspira à Aldous Huxley les traits d’une femme qui tue sans cesser de sourire (Le Sourire de la Joconde, Paris, Folio, 1981) (Judith Kauffmann, « La danse de Romain Gary ou Gengis Cohn et la valse-horà des mythes de l’Occident », Études littéraires, vol. 17, n° 1, 1984, p. 93).

27 Ibid., p. 47.

28 Charles de Gaulle, Mémoires de guerre. L’Appel (1940-1942) [1954], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, p. 5.

29 Romain Gary, La Danse de Gengis Cohn, op. cit., p. 11, 58, 167, 252, 328, 339, 350.

30 Ibid., p. 339-341.

31 Ibid., p. 212.

32 Ibid., p. 310.

33 Romain Gary, La Promesse de l’aube [1960], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2010 [1980 : éd. définitive], p. 367.

34 Ibid., p. 133.

35 Ibid., p. 132.

36 André Malraux, Les Noyers de l’Altenburg, op. cit., p. 680.

37 Anny Dayan-Rosenman, « Nina, Mina, Malwina, Rosa. Les femmes et les mères chez Romain Gary », Europe, n° 1022-1023, juin-juillet 2014, p. 112.

38 Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque, Paris, Gallimard, 2004 [1970], p. 8.

39 Romain Gary, La Promesse de l’aube, op. cit., p. 130-131.

40 Jean Starobinski, Portrait de l’artiste en saltimbanque, op. cit., p. 8.

41 Ibid., p. 95.

42 Ibid., p. 98.

43 Romain Gary, « Malraux, conquérant de l’impossible », op. cit., p. 91-97.

44 Romain Gary [Émile Ajar], Gros-Câlin [1974], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2006, p. 37.

45 Romain Gary, La Promesse de l’aube, op. cit., p. 131-132.

46 Ibid., p. 132.

47 Ibid., p. 133.

48 Romain Gary, « Ode à l’homme qui fut la France », dans Ode à l’homme qui fut la France, op. cit., p. 13. Paul Audi traduit ainsi « le jeu de mots “this actor and ‘enactor’ of genius” » parce que Gary, dans « De Gaulle, première ! » (Daniel Costelle, 1975), qualifie le Général d’« auteur-acteur », comme il le fait de Malraux dans La Promesse de l’aube (op. cit., p. 209). (Paul Audi, « Postface », Ode à l’homme qui fut la France, op. cit., p. 122-123).

49 Ibid., p. 12. C’est lui qui souligne.

50 Romain Gary, « À la recherche du “je” gaullien », dans Ode à l’homme qui fut la France, op. cit., p. 75. C’est lui qui souligne.

51 Romain Gary, « Ode à l’homme qui fut la France », op. cit., p. 11.

52 Romain Gary, La Promesse de l’aube, op. cit., p. 133.

53 Romain Gary, « Malraux, conquérant de l’impossible », op. cit., p. 93.

54 La réflexion de Gary ne s’inscrit en rien dans la perspective religieuse qui est celle de Marcel Gauchet dans Le désenchantement du monde (1985) car le romancier appelle enchantement tout ce qui, parce qu’il est du ressort de l’imaginaire, permet de combattre la Puissance, c’est-à-dire la réalité morne et violente qui accable l’homme.

55 Romain Gary, La Promesse de l’aube, op. cit., p. 209.

56 Ibid.

57 Ibid.

58 Romain Gary, « Malraux, conquérant de l’impossible », op. cit., p. 91.

59 Ibid., p. 96.

60 Ibid.

61 Ibid., p. 97.

62 Romain Gary, La Promesse de l’aube, op. cit., p. 133. Ce numéro et le sens que Gary lui donne sont voisins de la scène dans laquelle Santini éprouve la même frustration en faisant preuve de la même habileté dans Les Mangeurs d’étoiles (Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1981 [1966], p. 269-272).

63 Romain Gary, « Malraux, conquérant de l’impossible », op. cit., p. 97.

64 « […] one of the century’s greatest writers […] » (Romain Gary, The Guilty Head, New York / Cleveland, The New American Library / The World Publishing Company, 1969, p. 185. Traduction personnelle, comme dans toutes les notes qui suivent).

65 Ibid.

66 « Malraux nodded. It was one of his lightning-quick, almost spasmlike nods » (Ibid., p. 191. « Malraux hocha la tête. C’était l’un de ses hochements de tête rapides comme l’éclair, proches du spasme. »).

67  « “What are the facts?” Malraux asked. » (Ibid., p. 189. « Quels sont les faits ? demanda Malraux. »). « Any other proofs? » (Ibid., p. 191. « D’autres preuves ? »). Dans les deux cas, les italiques soulignent les particularismes de la langue de Malraux.

68 Ibid., p. 193.

« – Il va sans dire que nous n’en avons nullement l’intention, ajouta-t-il maladroitement. La France…

Oui, la France, l’interrompit Malraux d’un ton sec et coupant. Dois-je vous rappeler de garder ce mot à l’esprit ?

Monsieur le ministre…

Malraux le fusillait du regard. »

69 Association qui a veillé sur les intérêts du parti gaulliste et de ses successeurs à la manière d’une police parallèle de 1960 à 1981, le Service d’Action Civique (S.A.C.) s’est caractérisé par ses accointances avec la pègre et par son usage de la violence pendant la guerre d’Algérie et après.

70 « “Yes, it’s his eyes,” Malraux said. “A kind of furious, angry gaiety. I remember well that – light, there is no other word for it. Quite well. As for the rest, there’s a vague, familiar something, but the likeness is not as apparent as you say, mon colonel.”

“Plastic surgery, monsieur le ministre,” the Colonel said. “We’re almost sure of that.” » (Romain Gary, The Guilty Head, op. cit., p. 185-186. « – Oui, ce sont bien ses yeux, dit Malraux. Avec leur espèce de fureur et de colère gaies. Je me rappelle bien leur… lumière, il n’y a pas d’autre mot. Très bien. Quant au reste, il y a bien quelque chose de vaguement familier, mais la ressemblance n’est pas aussi évidente que vous le dites, mon colonel.

Chirurgie esthétique, monsieur le ministre, répondit le colonel. On en est presque sûr. »).

71 « […] he was unable to control his own creative urge. It was an almost artistic compulsion. » (Ibid., p. 188).

72 « – On s’est toujours moqué des poètes à travers les âges en les considérant comme des déséquilibrés ou, pour employer la langue d’aujourd’hui, comme des menaces pour la sécurité qu’on regarde d’un œil noir, dit Malraux d’un ton sec. [Mathieu s’est] toujours considéré comme un poète. Pour lui, la recherche scientifique était une quête de poésie pure et désintéressée, une quête de ce qu’il appelait “la musique cosmique”. » (Ibid.).

73 Romain Gary, La Promesse de l’aube, op. cit., p. 132. C’est lui qui souligne.

74 « Il sait qu’il ne saura jamais. » (Romain Gary, The Guilty Head, op. cit., p. 191).

75 « Aussi loin que nous cherchions dans l’univers, la réponse ou la question fondamentale, celle de la nature, de la place et du rôle de l’homme en son sein, demeure tout autant un point d’interrogation que pendant la préhistoire. » (Ibid.).

76 André Malraux, L’Espoir [1937], dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1996, p. 277.

77 Romain Gary, « Malraux, conquérant de l’impossible », op. cit., p. 93.

78 André Malraux, L’Homme précaire et la littérature, op. cit., p. 765.