Verbum E-ISSN 2538-8746
2020, vol. 11, DOI: http://dx.doi.org/10.15388/Verb.12

Emploi et traduction des unités phraséologiques en lituanien dans « La vie devant soi » de Romain Gary

Viktorija Rogalskaja
Université de Vilnius, L’institut des langues étrangères
5, rue Universiteto, LT-01513 Vilnius, Lituanie
Vilnius University, Lithuania
E-mail : v.rogalskaja@gmail.com
Intérêts de recherche : linguistique contrastive, traduction
Research interests : contrastive linguistics, translation
ORCID ID : https://orcid.org/0000-0001-8891-6934

Aurelija Leonavičienė
Université Vytautas Magnus
Département des langues étrangères, de littérature et de traduction
23, rue V. Putvinskio, LT-44243 Kaunas, Lituanie
University Vytautas Magnus, Lithuania
E-mail : aurelija.leonaviciene@vdu.lt
Intérêts de recherche : linguistique contrastive, théorie et critique de la traduction, linguistique textuelle
Research interests : contrastive linguistics, translation theory and critique, text linguistics
ORCID ID : https://orcid.org/0000-0001-8289-8333

Le but de cet article est d’analyser une répartition des unités phraséologiques et les stratégies de leur traduction dans le roman « La vie devant soi » de Romain Gary et répondre aux questions suivantes : Quelles unités phraséologiques sont utilisées dans le roman et comment transmettent-ils des idées de l’auteur ? Quelles stratégies de la traduction des unités phraséologiques étaient utilisées par la traductrice Jūratė Navakauskienė et pourquoi ces stratégies ont été choisies ? Lors de l’analyse de l’emploi des unités phraséologiques dans le roman, parmi les groupes prédominants nous avons identifié ceux des unités phraséologiques qui représentaient les phénomènes du monde intérieur de l’homme, des relations entre les gens et la vie sociale. Notre analyse de la traduction nous permet de constater les stratégies les plus fréquentes celles de la traduction par paraphrase, par les équivalents et par le synonyme phraséologique. Dans notre recherche, nous parlons également du style de Romain Gary et de l’importance de l’emploi des unités phraséologiques dans son roman. Les résultats de notre recherche nous permettent d’affirmer que la traductrice maîtrisait bien les connaissances linguistiques et extralinguistiques dans les contextes donnés, et a effectué le choix créatif des stratégies de la traduction.

Mots-clés : unité phraséologique, sémantique de l’unité phraséologique, traduction, stratégies de la traduction, « La vie devant soi » de Romain Gary

The Use of Idioms and Their Translation to Lithuanian in Roman Gary’s Novel “The Life Before Us”

Summary. The purpose of this article is to do an analysis of the use and the translation of idioms in the novel “The Life Before Us” by Romain Gary and answer these questions: How do idioms used in Gary’s novel convey the author’s message? Which strategies did translator Jūratė Navakauskienė choose for translating the idioms into Lithuanian? The article presents the semantic analysis of idioms used in the novel and the strategies of translation analysis based on fundamental theoretical references in four languages – Lithuanian, French, English and Russian. The three most used semantic groups of idioms in the novel are those that represent the phenomena of the inner world of a person, relationships, and social life. We found that the strategies for translating the idioms that predominate in this translation were: translation by paraphrasing, by equivalents, and by phraseological synonyms. In this research, the attention is also paid to the writing style of Romain Gary and the importance of idioms in his novel. The research shows how the use of idioms in the analyzed text is related to the context of it, and what strategies the translator Navakauskienė used to translate idioms seeking to maintain the artistic integrity of the work.

Key words: idiom, semantic analysis of idioms, translation, strategies of translation, “The Life Before Us” by Romain Gary

Copyright © 2020 Viktorija Rogalskaja, Aurelija Leonavičienė. Published by Vilnius University Press. This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution Licence, which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original author and source are credited.
Įteikta 2020 metų liepos 7 d.

1. Introduction

Au cours des dernières décennies, grâce à la mondialisation, la traduction est devenue un processus quotidien. Dans le processus du transfert d’une langue à l’autre, le traducteur aborde plusieurs problèmes parmi lesquels est celui de la traduction des unités phraséologiques, qui possèdent une valeur culturelle et soulèvent une « question de la compréhension du contexte culturel, du choix exact des stratégies de traduction et de l’adaptation culturelle » (Leonavičienė 2014, p.179).Les unités phraséologiques ne représentent pas seulement « des mots que définit un lexique », mais aussi une partie de la culture d’une langue (Rey & Chantreau 1984, p.6).

Cet article a pour but d’analyser une répartition des unités phraséologiques et les stratégies de leur traduction dans le romain français « La vie devant soi » de Romain Gary et dans sa traduction en lituanien faite par la traductrice Jūratė Navakauskienė (« Gyvenimas dar prieš akis »). Le roman « La vie devant soi » qui représente la source analysée de notre recherche, a été traduit en 1992, et selon Ingrida Bakutytė (2020, p. 173), c’était le premier roman de R. Gary traduit en lituanien après la chute de URSS.

Le sens linguistique et culturel des unités phraséologiques a été choisi comme objet d’étude sur la base d’une position formulée de longue date en traductologie, à savoir que les principaux problèmes rencontrés dans le processus de la traduction des unités phraséologiques proviennent des différences dans le sens linguistique et du passage d’un système culturel à un autre.

Pour atteindre le but de l’analyse, nous avons établi les tâches suivantes :

  1. Présenter et analyser le matériel théorique sur les unités phraséologiques et leur classification.
  2. Faire une analyse quantitative pour établir une répartition des unités phraséologiques dans « La vie devant soi » par R. Gary.
  3. En se basant sur les exemples collectés, faire une analyse de la traduction des unités phraséologiques françaises en lituanien pour pouvoir constater les stratégies de la traduction des unités phraséologiques dans le roman « La vie devant soi » de Romain Gary.

Pour l’étude théorique des unités phraséologiques, nous nous appuyons sur les données fournies par les ouvrages spécialisés dont les auteurs sont tels que : S. Barushkova (2019), A. Tutin (2013), D. Eigirdienė (2016), A. Künzli (2003), M. Meunier-Crespo (2008), A. Leonavičienė (2010, 2014, 2019), J. Paulauskas (1995, 2003), F. Ganieva (2015), etc. La partie empirique de la recherche a été faite en utilisant des méthodes quantitative, descriptive et comparative. Il est à noter que les unités phraséologiques de « La vie devant soi » de Romain Gary sont étudiées comme des composants d’un ensemble holistique, dans le contexte de la signification globale de l’œuvre, car, comme l’affirme Hans-Georg Gadamer, les parties, qui sont définies par l’ensemble, définissent à leur tour l’ensemble (1999,p. 27).

2. La notion de l’unité phraséologique et les possibilitésde leur classification

L’analyse des ouvrages théoriques nous fait apparaître que les linguistes et les traductologues utilisent souvent le terme de l’unité phraséologique. Malgré la prédominance de ce terme, l’unité phraséologique peut être appelée un « idiome », un « phraséologisme », une « expression », etc.Selon F. Ganieva (2015), qui utilise les termes « unité phraséologique » ou « phraséologie », le mot « phraséologie » peut avoir quelques définitions. Dans le contexte linguistique, on utilise le terme phraséologie pour définir la branche de la linguistique, qui analyse les combinaisons de mots stables (Ganieva 2015, p.38).Le mot « phraséologie » pour désigneraussi l’ensemble des expressions d’une langue particulière (Ganieva2015, p.38).Selonle dictionnaire Larousse, « phraséologie » c’estle « discours formé des formules pompeuses » (Larousse 1995). Qu’est-ce que cela signifie ? Si on vérifie la définition de ce mot dans les dictionnaires, on voit bien que la phraséologie signifie l’ensemble des locutions, expressions, collocations etc. (« Dico en ligne Le Robert »[1]).Autrement dit, une phraséologie c’est « une construction de phrase ou procédé d’expression propre à une langue, à une époque, à une discipline, à un milieu, à un auteur. » (« Définitions : phraséologie - Dictionnaire de français Larousse »[2], 2019)Enfin, on pourrait constater que la phraséologie c’est un ensemble des revirements réguliers, qui sont inhérent dans une langue particulière. Compte tenu de ce qui a été dit, on voit bien que la phraséologie est présentée différemment dans les ouvrages théoriques, par exemple, on peut y trouver les termes comme idiome, idiotisme, expression figée, expression fixe, expression idiomatique, locution, unité phraséologique, phrase figée, phrase idiomatique, etc.

Bien sûr, les termes désignant des unités phraséologiques peuvent varier selon la tradition linguistique d’un certains pays, par exemple, dans la linguistique anglaise, on utilise souvent le terme « expression » (angl.idiom), « phraséologisme » (angl. phraseologism) mais dans la tradition linguistique russe, on utilise telles termes comme « idiome » (rus. фразеологизм),«unité phraséologique»(rus. фразеологическаяединица), «slogan» (rus. крылатая фраза), «expression» (rus. выражение). Il est à noter que dans la linguistique lituanienne, nous pouvons trouver les termes suivants : « idiome » (lit. frazeologizmas), « locution phraséologique » (lit. frazeologinis junginys).

Si on consulte des dictionnaires et des ouvrages théoriques, on y trouve les termesde l’expression ou de l’expression figée.Par exemple, le dictionnaire de Larousse (1995) nous dit que l’expression est « une manière de s’exprimer par le langage ; terme ou tour du langage parlé ou écrit ». Si on analyse la définition par Rey et Chantreau (1984, p.6), on voit la même définition qui nous montre que l’expression est considérée comme une « manière d’exprimer quelque chose ». Si on regarde la traduction du mot français « expression figée » en lituanien, on trouve le terme « frazeologizmas » qui désigne une phrase constante ayant une signification indépendante, et qui est utilisée dans l’acte de parole comme une unité lexicale reproduite du mémoire (Paulauskas 2003). Le linguiste lituanien Jonas Paulauskas, spécialiste de la phraséologie lituanienne, utilise les termes tels que « unité phraséologique » et « tours phraséologiques » (2003). Bien sûr, si on parle des unités phraséologiques, on en compare souvent aux collocations lexicales. Ces dernières sont définies comme« des associations lexicales privilégiées et sémantiquement compositionnelles (par exemple, tristesse infinie, pertes abyssales, jouer un rôle, etc.) constituent désormais une notion essentielle dans les approches contemporaines de la phraséologie. » (Tutin 2013, p. 1) Selon Maunier-Crespo (2008), le figement des collocations est moins grand que le figement des unités phraséologiques. Si les unités phraséologiques peuvent être considérées comme « des blocs peu séparables », les collocations, quant à elles, peuvent être plus discontinues ou rester inaperçues, car « elles forment le tissu même de la langue. »(Maunier-Crespo2008).

Afin de définir une unité phraséologique, nous nous appuyons sur l’approche de linguiste Paulauskas qui nous présente un exemple tiré d’un œuvre de Žemaitė : Be reikalo būtumei kojas sukūlusi, nebūtumei išplikusi dantų(Paulauskas2003, p. 3). Dans cette phrase, on trouve trois unités phraséologiques : « išplikti dantis » (obtenir quelque chose), « kojas sukulti » (aller loin, mais inutilement) et « be reikalo » (faire quelque chose inutilement).Si on analyse une expression « išplikti dantis », on voit que l’ensemble des mots a le sens qui diffère du sens de chaque mot. Le mot « išplikti » se traduit comme « exposer », et le mot « dantis » signifie « les dents ». Cependant, il est évident que « exposer » et « les dents » n’ont rien à voir avec une expression qui signifie « obtenir quelque chose » (Paulauskas 2003, p. 3). La même interprétation pourrait être appliquée pour les expressions « kojas sukulti » et « be reikalo », car les mots qui constituent ces unités phraséologiques, ont le sens figuré.

Comme on voit dans les exemples cités, l’intégrité du sens de l’expression est considérée comme le critère le plus important de lunitéphraséologique. Le linguiste Paulauskas, auteur du « Dictionnaire de la Phraséologie de la Langue Lituanien » (2003), nous dit que ce critère nous permet de voir la distinction entre l’unité phraséologique et la collocation ou une locution libre où tous les composants gardent leurs sens. Le deuxième critère de l’identification de l’unité phraséologique c’est son caractère imagé. Paulauskas(2003)nous explique que si l’on remplace les unités phraséologiques par les mots stylistiquement neutres, on perd leur valeur stylistique, on neutralise une connotation de l’expression et on perd tout l’image créé par l’unité phraséologique. Les unités phraséologiques peuvent être considérées comme des marqueurs stylistiques des textes ou des discours qui transmettent l’image et les connotations culturelles (Paulauskas 2003). Le troisième critère présenté par Paulauskas, est la stabilité syntagmatique des composants de l’unité phraséologique (2003, p. 4). Parlant des unités phraséologiques, Aurelija Leonavičienė précise que l’unité de sens et la stabilité syntagmatique sont les traits principaux des unités phraséologiques (2010, p.158–159). L’analyse théorique des unités phraséologiques nous permet d’affirmer que ces unités lexicales se caractérisent par l’intégrité du sens, la stabilité syntagmatique, leur caractère imagé, et aidentà construire le sens global du texte.

Dans la linguistique contemporaine, on trouve plusieurs classifications des unités phraséologiques. La plupart de ces classifications privilégient la structure morphosyntaxique, les autres se focalise sur la sémantique de l’expression. Selon Valginaet al. (2002, p. 22–24), une des classifications la plus connue est celle de Vinogradov qui a été faite sur la base de différents degrés de figement des éléments constituant les idiomes. Dans cette classification (1977, cité parValginaet al. 2002, ch. 22-24) Vinogradova distingué : 1) les épissures phraséologiques qui se caractérisent comme les combinaisons lexicales stables dont la valeur sémantiquediffère de la sémantiquede leurs composants (Valginaet al. 2002, ch. 22) ; 2) les unités phraséologiques qui appartiennent auxcombinaisons lexicales stables mais dont la valeur sémantique estliée à la sémantique de leurs composants utilisés au sens figuré et représentantsouventles métaphores ; 3) les unités phraséologiques qui représentent les tours constants, et dont le sens est motivé par la sémantique de leurs composants. À cette classification de Vinogradov, on pourrait opposer la classification sémantiqueprésentée par Jonas Paulauskasqui avait classifié 9000 unités phraséologiques lituaniennes en 10 groupes sur la base de leur signification. Présentons la classification sémantique de Paulauskas (1995, p. 8) qui distingue des groupes suivants :

1) Les unités phraséologiques représentant le mouvement y compris lemouvement dans l’espace,lechangement de place, l’absence de mouvement,l’aller vite ou lent,l’expression de la direction(mouvement vers l’intérieur, mouvement de l’intérieur, etc.);

2) Les unités phraséologiques représentant l’espace c’est-à-dire, un endroit, une position, etc. ;

3) Les unités phraséologiques représentant le temps, c’est-à-dire, le temps court, le temps de long terme, le futur, le passé, etc. ;

4) Les unités phraséologiques représentant les relations, y compris les relations positives et les relations négatives entre les gens ;

5) Les unités phraséologiques représentant les qualités des choses matérielles qui peuvent être perçues par des organes de perception ;

6) Les unités phraséologiques représentant la nature animée et inanimée y compris la vie de l’homme : sa vie et sa mort, la jeunesse, la vieillesse, le sommeil, le repas et les vêtements ;

7) Les unités phraséologiques représentant les phénomènes du monde intérieur de l’homme: le caractère, la morale et les émotions ;

8) Les unités phraséologiques représentant les symboles liés aux discours, à l’art, à l’écriture, aux sciences ;

9) Les unités phraséologiques représentant la vie sociale des gens c’est-à-dire, certains aspects de la famille, de la société, de l’état, du droit, etc. ;

10) Les unités phraséologiques représentant le travail.

Les groupes de la classification sémantique de Paulauskas pourraient être complétés par plusieurs sous-classes, par exemple, le groupe des unités phraséologiques représentant la nature animée et inanimée, pourrait être complété par les sous-classes des unités phraséologiques zoomorphes représentant les animaux domestiques, les bêtes sauvages, les poissons, etc., comme nous le montre les recherches menées par Dalia Eigirdienė (2016). Il est bien évident que chaque classification doit satisfaire aux exigences d’un chercheur et au but de son analyse. Dans notre article, nous privilégions la classification sémantique de Paulauskas (1995, 2003) qui nous aide à lier la sémantique des unités phraséologiques à la thématique de l’ouvrage étudié.

3. Emploi des unités phraséologiques dans « La vie devant soi » de Romain Gary

Après avoir fait l’analyse quantitative des unités phraséologiques de « La vie devant soi » de Romain Gary, dont le volume est de 220 pages, nous avons trouvé 71 exemples d’unités phraséologiques qui ont été classées selon la classification de Paulauskas. L’étude de la répartition des unités phraséologiques nous permet de constater huit groupes sémantiques, ceux des phénomènes du monde intérieur de l’homme (22 exemples), des relations entre les gens (13 exemples), de la vie sociale des gens (11 exemples), de la nature animée et inanimée (10 exemples), de l’espace (5 exemples), du mouvement (5 exemples), du travail (3 exemples) et du temps (2 exemples). Parmi tous les cas trouvés, les exemples représentant les phénomènes du monde intérieur de l’homme sont les plus fréquents. Ils constituent 31 % des unités phraséologiques analysées (voir Tableau 1).

Tableau 1. Les résultats de l’analyse sémantique des unités phraséologiques dans le roman « La vie devant soi » de Romain Gary

No

Groupes sémantiques trouvés

Nombre d’exemples

Pourcentages d’exemples

1.

Phénomènes du monde intérieur de l'homme

22

31%

2.

Relations

13

18%

3.

Vie sociale des gens

11

16%

4.

Nature animée et inanimée

10

14%

5.

Espace

5

7%

6.

Mouvement

5

7%

7.

Travail

3

4%

8.

Temps

2

3%

9.

Qualités des choses matérielles

0

0%

10.

Symboles

0

0%

Total

71

100%

La prédominance du groupe sémantique représentant des phénomènes du monde intérieur de l’homme, est liée à la thématique du roman. Selon Katia Cikalovski (2009, p. 110), Romain Gary a écrit ce roman en utilisant un langage qui reflète la marginalité des personnages et leur situation. Dans le roman, il s’agit de la vie des immigrés, des femmes impliquées dans la prostitution, les proxénètes, les orphelins ou des enfants qui sont laissés tomber par leurs mères. Quand on lit « La vie devant soi », le roman nous rappelle le journal intime : il n’y a pas de chapitres, il y a seulement des paragraphes avec des descriptions des évènements, des dialogues, des pensées d’un personnage principal, « le narrateur qui est le jeune garçon arabe Momo ». Dans le roman, « le ton est celui de la confidence, le vocabulaire reste simple » et « le jargon semble typique d’un jeune garçon qui a vécu dans un quartier d’immigrés de Paris » (Baryseyeva 2009, p.133). L’auteur présente la vie à travers les yeux d’un garçon qui analyse ses sentiments, son attitude envers les autres et ses émotions. Pour cette raison, les unités phraséologiques représentant les phénomènes du monde intérieur de l’homme, deviennent importantes et fréquentes dans le roman de Gary. Présentons quelques exemples :

(1) Madame Rosa avait une peur bleue de la torture et elle disait toujours que lorsqu’elle en aura vraiment assez, elle se fera avorter. (p.102)

(2) Elle avait une peur bleue des Allemands. (p.59).

(3) Madame Rosa gardait un grand portrait de Monsieur Hitler sous son lit et quand elle était malheureuse et ne savait plus à quel saint se vouer, elle sortait le portrait, le regardait et elle se sentait tout de suite mieux, ça faisait quand même un gros souci de moins. (p.53).

Parmi les unités phraséologiques citées, « avoir une peur bleue » (exemples 1 et 2) exprime le plus haut niveau de la peur et « ne pas savoir à quel saint se vouer » (exemple 3) manifeste le sentiment de malheur et de désespoir. Si on analyse les groupes sémantiques des unités phraséologiques, on voit bien que l’état d’âme des personnages dépend souvent des relations avec des autres personnes (13 exemples trouvés, voir Tableau 1), des contacts qui peuvent causer les émotions positives ou négatives :

(4) <… >j’ai discuté le bout de gras avec un balayeur africain que je ne connaissais pas mais qui était noir. » (p.93)

(5) Ces gardes du corps, on leur aurait vite donné le bon Dieu sans confession, tellement ils avaient des sales têtes et faisaient peur. (p.49)

(6) Je ne sais pas pourquoi je l’avais pris en grippe mais je crois que c’était parce que j’avais neuf ou dix ans et des poussières et qu’il me fallait déjà quelqu'un à détester comme tout le monde. (p.54).

Dans les exemples cités, les unités phraséologiques, telles que « discuter le bout de gras » (converser amicalement de choses et d’autres[3]) ou « donner le bon Dieu sans confession » (avoir « un visage innocent, une apparence d’honnêteté » ; faire confiance à quelqu’un, compte tenu de son apparence [4]), expriment les relations positives entre les gens mais dans le cas de l’exemple « prendre en grippe », on manifeste de l’antipathie ressentie pour une autre personne. Tous les exemples représentant la sémantique de relations entre les gens, font 18 % de tous les exemples collectés.

En ce qui concerne des unités phraséologiques ayant une sémantique de la vie sociale des gens, nous en avons trouvé 11 qui font 16% de tous les exemples analysés. La plupart d’entre eux, signifient l’étatfinancier ou la situation financière des personnages car ce problème est l’un des plus important dans le roman. Présentons quelques exemples :

(7) Mes trois cents francs par mois rubis sur ongle infligeaient à Madame Rosa du respect à mon égard. (p.22)

(8) Mais je sais que les chrétiens ont payé les yeux de la tête pour avoir un Christ et chez nous il est interdit de représenter la figure humaine pour ne pas offenser Dieu, ce qui se comprend très bien, car il n'y a pas de quoi se vanter. (p.78)

Les unités phraséologiques telles que « rubis sur ongle » ou « payer les yeux de la tête », sont considérées comme des marqueurs stylistiques qui aident à transmettre le sens de l’importance des biens ou de l’argent dans la vie des gens d’une couche sociale défavorisée de Paris. En s’associant aux contextes situationnels, ces unités phraséologiques aident à construire le sens global du texte et créer l’image. Il est à noter que parmi les unités phraséologiques du groupe sémantique de la vie sociale des gens nous avons trouvé quelques exemples qui manifestaient le rôle social des personnages, leur vie pleine de l’inquiétude et de l’incertitude (exemples 9 et 10) qui sont étroitement liées à la thématique de « La vie devant soi » :

(9) Comme elle vivait du bouche-à-oreille et qu’elle n’était plus recommandée sur les trottoirs, sa réputation se perdait. (p.79)

(10) Je faisais le rigolo sur le trottoir et je réussissais à ramasser jusqu’à vingt francs par jour, mais il fallait faire gaffe parce que la police a toujours un œil pour les mineurs en liberté. (p.76)

Parmi tous les exemples collectés, nous avons identifié 10 exemples qui représentent la sémantique de la nature animée et inanimée y compris la sémantique des étapes de la vie humaine (la mort (exemple 11), la vieillesse (exemple 12), etc.). Citons quelques exemples :

(11) Quand Madame Rosa a pris cet escalier, j’ai cru vraiment que c’était la fin des haricotselle était devenue macaque et j’ai voulu courir réveiller le docteur Katz. (p.37)

(12) Vous me direz que je mélange les années, mais ce n’est pas vrai, et je vous expliquerai quand ça me viendra comment j’ai brusquement pris un coup de vieux. (p.22)

Dans le cas de « la fin des haricots » qui signifie « la fin du tout »[5], nous avons une unité phraséologique qui remonte au début du XX siècle, quand des haricots étaient un aliment principal. « Quand il n’y avait même plus de haricots à manger, c’était la fin de tout. » –on trouve une explication dans « Les expressions françaises décortiqués ».

Comme nous le dit Paulauskas (1995, p. 9), les unités phraséologiques peuvent exprimer les groupes sémantiques tels que le mouvement et l’espace. L’analyse sémantique des unités phraséologiques de « La vie devant soi » nous permet de constater que chacun de ces deux groupes font 7 % de tous les exemples analysés. Parmi les exemples du groupe de mouvement et d’espace, on pourrait mentionner « foutre le camp » qui représente la sémantique du mouvement et signifie « s’en aller, partir (généralement avec précipitation) »[6].Cette unité phraséologique est l’une des plus fréquentes dans les contextes ironiques concernant les fuites de Momo, le personnage principal du roman. Présentons quelques exemples :

(13) J’ai eu un truc à la gorge que j’ai avalé et puis, je me suis précipité dehors et j’ai foutu le camp. (p.224)

(14) <… >je l’ai caressé et puis j’ai foutu le camp comme une flèche. (p.24)

Les groupes sémantiques moins fréquents sont ceux du travail (3 exemples trouvés) et du temps (2 exemples trouvés). En ce que concerne les unités phraséologiques représentant les symboles de l’art, de l’écriture, de la science et les qualités des choses matérielles,elles n’ont pas été trouvées dans le roman analysé.

Notre étude des unités phraséologiques trouvées dans « La vie devant soi » de Romain Gary, montre que les unités phraséologiques s’inscrivent bien dans le style parlé du roman et aident à transmettre l’image et le vouloir dire de l’auteur.

4. Les stratégies de la traduction des unités phraséologiques en lituanien dans « La vie devant soi » de Romain Gary

L’analyse traductionnelle de « La vie devant soi » en lituanien soulève la question du choix des stratégies de la traduction des unités phraséologiques et de leur adaptation stylistique et culturelle dans la langue et la culture d’accueil. En nous situant dans le domaine de traduction des unités phraséologiques, nous tenons compte de ce fait que celles-ci représentent non seulement une langue mais aussi certains aspects culturels qui peuvent causer des problèmes pour le traducteur. Pour cette raison, on se pose souvent une question : comment faut-il traduire une unité phraséologique et quelle stratégie de traduction choisir ? Pour répondre aux questions, nous abordons le problème théorique de la traduction des unités phraséologiques et ensuite, nous passons à l’analyse de la traduction des exemples collectés.

Le problème le plus important de la traduction des unités phraséologiques c’est la compréhension du sens de l’expression. En analysant ce problème Laima Rapšytė (1980, p. 368) nous présente un exemple de la traduction de l’unité phraséologique française « avoir un bœuf sur la langue » tirée du romain de Victor Hugo « L’homme qui rit ». Cet exemple qui signifie « avaler sa langue, se mordre la langue » n’était pas identifié comme l’unité phraséologique par conséquent, il était traduit en lituanien littéralement « jautis ant liežuvio ». Malgré le fait qu’en lituanien nous avons des unités phraséologiques « turėti liežuvį už dantų », « kaip liežuvį prarijęs », le traducteur n’a pas utilisé l’un de ces idiomes lituaniens et a choisi une traduction linéaire qui a causé une perte du sens et de l’image.

En guidant le procesus de la traduction, le traducteur utilise tout son bagage cognitif c’est-à-dire, ses connaissances socioculturelles, situationnelles et linguistiques. Lensemble de tous les éléments cognitifs et les facteurs pragmatiques déterminent à leur tour, le choix des stratégies de latraduction. Selon Krings (1986, p. 175, cité parKünzli2003, p. 9), les stratégies de la traduction sont « comme des plans potentiellement conscients, activés par le traducteur » pour trouver des solutions des problèmes de la traduction, par exemple : « soit inférer le sens, soit consulter une source d’information. » Alexander Künzli (2003) présente quelques classifications des stratégies de la traduction qui ont été proposées par Nida (1964) et Catford (1965). Dans la théorie de Nida (1964), on propose quatre types de stratégies de la traduction : les changements au niveau de l’ordre, les omissions, les changements structurels et les ajouts (cité par Künzli 2003, p. 11). Parmi toutes ces stratégies, Nida « considère qu’un ajout a plus d’importance qu’une omission, puisque l’impact de ce qui est perdu ne serait pas aussi grand que l’effet de ce qui est ajouté. » En plus, Nida remarque les degrés variés de changement dans chaque type : « il y aurait ainsi des omissions plus attendues d’une part, et des omissions moins attendues d’autre part, ces dernières se voyant attribuer une valeur numérique plus élevée. » (Künzli 2003, p. 11). Quant à la théorie de Catford (1965),Künzli nous dit que Catford construit son concept autour des translation shifts c’est-à-dire, « des écarts dans la correspondance formelle entre texte de départ et texte d’arrivée » (Künzli 2003, p. 11). Cependant, Künzli nous rappelle les mots de Snell-Hornby (1995, p. 19-20) qui est de l’avis que la théorie de Catford (1964) « se soustrait quelque peu à la complexité de la traduction dans sa réalité » (cité par Künzli 2003, p. 11) car Catford construit sa théorie en analysant des mots ou des phrases isolées.

En traductologie d’aujourd’hui, on distingue les stratégies textuelles qui permettent au traducteur, comme l’indique Andrew Chesterman, de manipuler le matériel linguistique et appliquer les stratégies en fonction de deux langues (1997). Le traductologue Chesterman associe le savoir linguistique au savoir extralinguistique dans ses trente stratégies de traduction, regroupées en trois groupes (les stratégies sémantiques, syntaxiques-grammaticales et pragmatiques) qui appartiennent à différents niveaux de la traduction. Dans la pratique traductive, les traducteurs sont obligés à associer les stratégies textuelles orientées vers le produit écrit, au stratégies cognitives privilégiant le processus de traduction, pour parvenir à la communication effective. Selon Chesterman, « des formes explicites de manipulations textuelles, observables en comparant le résultat de l’opération de traduction, à savoir le texte d’arrivée, avec le texte de départ. » (1997). Il distingue trois groupes des stratégies de la traduction :

  1. Les stratégies syntaxiques-grammaticales sont celles qui « reposent principalement sur des manipulations au niveau de la forme » (Chesterman 1997, ch. 4, cité par Künzli 2003, p.12). Parmi les stratégies syntaxiques-grammaticales, Chesterman présente celles de traduction littérale (du calque), de transposition, etc. ;
  2. Les stratégies sémantiques qui « relèvent de manipulations au niveau du sens », sont : la paraphrase, la concentration, la dilution, etc. ;
  3. Les stratégies pragmatiques qui « ont à voir avec la sélection de l’information à inclure dans le texte d’arrivée, et qui sont déterminées par ce que le traducteur pense être les besoins et les attentes des receveurs » sont suivantes : l’explicitation ou l’implicitation, l’ajout ou l’omission, etc. (Chesterman 1997, ch. 4, citépar Künzli 2003, p.12).

Il est à noter que le traductologue Aurelija Leonavičienė nous rappelle que les théories contemporaines de la traduction considèrent la traduction comme « une communication interlinguistique et interculturelle, et le texte comme un ensemble sémantique complexe, dans lequel le sens du texte exprimé par les mots ne correspond pas toujours aux associations qu’implique le sens. » (2014, p. 173). Dans son ouvrage « Interprétation et traductions du sens culturel des textes » (2014, p. 180, 79) et dans son article « Transfer culturel de l’intertextualité dans les traductions littéraires du lituanien en français » (2019, p. 219–229), Leonavičienė présente les stratégies les plus fréquentes dans la traduction des éléments ayant le sens culturel, y compris les unités phraséologiques. Parmi ces stratégies, ce sont :1) le choix d’un synonyme ayant la même image ou l’image différente ; 2) le choix du calque ; 3) le choix de la paraphrase ; 4) l’omission ; 5) l’explicitation. Certaines de ces stratégies sont mentionnées dans l’article de Svetlana Barushkova (2019, chap. 5–39) qui privilégie les stratégies linguistiques suivantes :1) la traduction par les équivalents complets quand « dans la langue-traducteur il y a une phraséologie, coïncidant d’après tous les paramètres avec l’unité phraséologique de la langue-originale: par signification, par composition lexicale, imagerie, orientation stylistique et structure grammaticale » (chap. 5) ; 2) la traduction par les équivalents sélectifs représentant le cas où il y a « de deux ou plusieurs équivalents de l’unité phraséologique correspondante »,mais le traducteur choisit lequel d’entre eux est le meilleur (chap. 22) ; 3) la traduction par les équivalents partiels manifeste « des divergences lexicales, grammaticales, lexicales et grammaticales ou diffère d’une image interne » (chap. 23) ; 4) les calques représentent une traduction littérale qui aide à conserver « image originale » de l’unité phraséologique (chap. 39).

Après avoir présenté les stratégies de la traduction de plusieurs chercheurs, nous avons décidé de nous appuyer sur la classification de Chesterman (1997) et intégrer également deux autres classifications présentées par Leonavičienė (2014) et Barushkova (2019). Dans le cas de la traduction de lœuvre littéraire qui reste toujours ouverte à l’interprétation, la classification intégrée de plusieurs classifications proposées par les traductologues, nous permet délargir le panorama des stratégies dans lanalyse traductologiques des unités phraséologiques de « La vie devant soi » de Romain Gary.

L’étude de la traduction des unités phraséologiques de « La vie devant soi » de Romain Gary, laisse apparaître quatre stratégies de la traduction: 1)la traduction par les équivalents ; 2)la traduction par le choix du synonyme ; 3) la traduction littérale ; 4) la paraphrase. Les données de l’analyse quantitative sont présentées dans le tableau 2.

Tableau 2. Les résultats de l’analyse des stratégies de la traduction des unités phraséologiques dans le roman de Romain Gary « La vie devant soi ».

No.

Stratégies de la traduction

Nombre d’exemples

Pourcentages d’exemples

1.

Paraphrase

46

65%

2.

Traduction par les équivalents

15

21%

3.

Traduction par le synonyme phraséologique

8

11%

4.

Traduction littérale

2

3%

Total

71

100%

Les résultats de l’analyse traductionnelle nous permettent de constater la prédominance de la stratégie de paraphrase qui constitue 65 % dexemples trouvés. Les autres stratégies sont moins fréquentes et toutes ensemble, elles constituent 35 % de cas analysés. L’étude quantitative de la traduction des unités phraséologiques collectées fait apparaître deux stratégies de la traduction les plus fréquentes, ce sont la paraphrase et la traduction par les équivalents. Cette dernière stratégie fait 21% de cas analysés (voir le tableau 2).

Traduction par la paraphrase

En restituant le vouloir dire de l’auteur du texte original, la traductrice de « La vie devant soi » tente à trouver des solutions de la traduction pour exprimer le sens global du texte. Dans le cas de la traduction des unités phraséologiques, elle choisit une paraphrase qui permet d’adapter l’unité phraséologique dans la culture d’arrivée et restituer le sens de l’expression. Prenons quelques exemples:

(15) « Je suis allé revoir le cirque et j’ai gagné encore une heure ou deux mais c’est rien, dans une journée. » (p. 100)

« Nuėjau vėl pažiūrėti cirko ir ištempiau dar kokias dvi valandas, bet prieš akis vis tiekbuvo visa diena. » (p. 69)

L’exemple 15 nous montre que le choix de la paraphrase « ištempti dar kokias dvi valandas » est bien motivée car la traductrice ne peut pas trouver de l’équivalent ou du synonyme phraséologique dans la langue d’arrivée. L’absence d’expression imagée ayant le même sens dans la culture d’arrivée, conduit la traductrice au choix de la paraphrase. Bien sûr, la paraphrase peut être motivée par la nécessité de varier entre les stratégies dans le contexte donné, par exemple :

(16) « Quand ça vient de l’extérieur à coups de pied au cul, on peut foutre le camp. » (p. 56)
« Kada ateina iš išorės, kaip spyris į užpakalį, visada gali pabėgti. » (p. 40)

(17) <… > « je l’ai caressé et puis j’ai foutu le camp comme une flèche. » (p.24)« Paėmiau jį ant rankų, glosčiau glosčiau, o paskui dėjau į kojas. » (p.13)

Malgré la possibilité de traduire « foutre le camp » par l’unité phraséologique lituanienne « dėti į kojas », comme nous le voyons dans l’exemple 17, la traductrice a choisi de transmettre le sens (« pabėgti ») sans garder l’image de l’expression dans l’exemple 16. Il est à noter que ce choix de la paraphrase pourrait être déterminé par le contexte minimal de la phrase qui contient deux unités phraséologiques, celles « à coups de pied » et « foutre le camp ». Pour garder la variété des stratégies de la traduction dans l’exemple 16, la traductrice choisit la neutralisation de l’image dans le cas de la stratégie de paraphrase, et la transmission du sens et de l’image dans le choix de la traduction par le synonyme phraséologique lituanien « spyris į užpakalį ».

Compte tenu de ce qui a été dit, nous pouvons affirmer que le choix de la stratégie de la paraphrase ne se limite jamais aux procédures linguistiques mais la traduction des unités phraséologiques s’inscrit dans le contexte plus vaste de l’adaptation culturelle, de l’habitude linguistique de dire dans la culture du texte traduit.

Traduction par les équivalents

Notre inventaire de la traduction des unités phraséologiques de « La vie devant soi » en lituanien, fait apparaître 15 exemples qui font 21% de tous les exemples trouvés dont la traduction est marquée par le choix des équivalents phraséologiques. Citons quelques exemples:

(18) « Après je me suis assis sur un trottoir et j’ai chialé comme un veau avec les poings dans les yeux mais j’étais heureux. » (p. 26)

« Paskui atsisėdau ant šaligatvio ir ėmiau bliauti kaip veršis, trindamasis kumščiais akis, bet buvau laimingas. » (p. 18)

(19)« Chez Madame Rosa il y avait pas la sécurité et on ne tenait tous qu’à un fil, avec la vieille malade, sans argent et avec l’Assistance publique sur nos têtes et c’était pas une vie pour un chien. » (p.26)

« Gyvendamas pas ponią Rozą niekada nebuvai tikras dėl rytdienos, visi mes kabojom ant plauko : sena ligota moteris, be pinigų, ir dar bet kada gali užgriūti visuomenės atstovai, - joks šuva taip neišgyventų. » (p. 13)

(20) « Dimanche elle s’habillait des pieds à la tête, mettait sa perruque rousse et allait s’asseoir dans le square Beaulieu et restait là pendant plusieurs heures avec élégance. »
(p. 20)

« Sekmadieniais ji išsipustydavo nuo galvos iki kojų, užsidėdavo ugninį peruką, nueidavo pasėdėti į Boljė skverą ir pūpsodavo ten valandų valandas su savo elegancija. »
(p. 11)

(21) « Chez nous, c’est encore plus vache que dans la nature, car il est interdit d’avorter les vieux quand la nature les étouffe lentement et qu’ils ont les yeux qui sortent de la tête. » (p. 159)

« O pas mus dar gražiau nei gamtoj, nes draudžiama nusikratyti seniais, kai juos pamažu smaugia gamta ir akys iššoksta jiems ant kaktos » (p. 109)

Dans les exemples cités, la traductrice manifeste la fidélité au sens et à l’image jusqu’à produire une même valeur stylistique, par exemple, « chialer comme un veau »« bliauti kaip veršiui », « ne tenir tous qu’à un fil »« kaboti ant plauko »,« des pieds à la tête »– « nuo galvos iki kojų », « avoir les yeux qui sortent de la tête » – « akys iššoksta jiems ant kaktos »,etc. Les convergences phraséologiques présentées sont issues d’emprunts ou d’expériences communes ou encore, de contacts culturels entre les pays et les langues. La traduction par les équivalents signifie l’identité du sens, de l’image et de l’effet stylistique del’unité phraséologique de l’original et de la traduction.

Traduction par les synonymes phraséologiques

Pour aller plus loin, nous nous intéressons à la traduction par les synonymes phraséologiques. Il va sans dire que dans la traduction des unités phraséologiques, il s’agit non seulement de reconnaître et de comprendre le sens de ces dernières, mais aussi de percevoir leur valeur culturelle, stylistique ainsi que de transmettre le sens et l’image selon la langue et la culture d’arrivée. Partant d’expériences personnelles dans le but de « dire presque la même chose », le traducteur doit toujours répondre à « la vieille question de savoir si une traduction doit conduire le lecteur à s’identifier à une certaine époque et un certain milieu culturel – celui du texte original – ou si elle doit rendre l’époque et le milieu accessibles au lecteur de la langue et de la culture d’arrivée » (Eco 2006, 215-216). En traduction des textes littéraires, on ne se limite jamais aux procédures linguistiques. Pour ne pas dépayser le lecteur de la traduction, la traductrice est obligée d’adapter certaines unités phraséologiques françaises en choisissant des unités phraséologiques lituaniennes ayant le même sens mais tout à fait différentes de point de vue de l’image. Présentons quelques exemples :

(22)« Il venait même parfois embrasser Madame Rosa, à condition qu’elle ferme sa gueule. » (p. 55)

« Jis netgi kartais ateidavo pabučiuoti ponios Rozos, su sąlyga, kad laikys liežuvį už dantų. »
(p. 27)

(23) « Madame Rosa m’avait porté comme Mohammed, musulman, et elle avait promis que j’allais être comme un coq en pâte. » (p. 83)

« Ponia Roza užrašė mane kaip Muchamedą, musulmoną, ir pažadėjo, kad aš vartysiuos kaip inkstas taukuose. » (p. 58)

(24) « Ça sortait un peu de tous les côtés à la fois parce que je commençais toujours par la fin des haricots, avec Madame Rosa en état de manque et mon père qui avait tué ma mère parce qu’il était psychiatrique, mais il faut vous dire que j’ai jamais su où ça commence et où ça finit parce qu’à mon avis ça ne fait que continuer. » (p. 215)

« Iš manęs liejosi apie viską po truputį, nes vis griebiausi už pirmo pasitaikiusio šiaudelio, pasakojau tai apie apleistą ponią Rozą, tai apie tėvą, kuris užmušė mano motiną, nes buvo psichinis, bet turiu pasakyti, kad aš iki šiol nežinau, kur tai prasideda ir kur baigiasi, - mano galva, tai tik tęsiasi ir tęsiasi. » (p. 150)

Notre inventaire de la traduction des unités phraséologiques de « La vie devant soi », fait apparaître 11 % d’exemples dont la traduction est marquée par l’adaptation culturelle, c’est-à-dire, par l’application de la stratégie du choix de l’unité phraséologique lituanienne ayant une image différente.Dans le cas des exemples cités, l’unité phraséologique « fermer sa gueule » dont le sens est «se taire»[7], est remplacé par « laikyti liežuvį už dantų »(exemple22), et l’unité phraséologique « être comme un coq en pâte » dont le sens est« mener une existence confortable et douillette ; être bien soigné, avoir toutes ses aises»[8], est traduitepar« vartytis kaip inkstas taukuose »(exemple23). En ce qui concerne l’unité phraséologique « la fin des haricots » dont le sens est «la fin de tout; la perte complète d’espoir»[9] (exemple 24), la traductrice Navakauskienė l’a traduite par l’idiome « griebtis už pirmo pasitaikiusio šiaudelio » qui nous montre une différence du sens et de l’image de celui de l’original. Malgré tout, l’unité phraséologique « griebtis pirmo pasitaikiusio šiaudelio » pourrait être considérée comme un équivalent textuel. Vu sous cet angle, on pourrait dire que le choix des synonymes phraséologiques est déterminé par la nécessité de l’adaptation culturelle du texte traduit. Il en ressort que l’adaptation du texte littéraire est indispensable pour ne pas avoir une rupture d’équilibre communicationnel et culturel avec le lecteur de la culture d’arrivée.

Traduction littérale

Dans la traduction du roman analysé, nous avons trouvé deux phrases qui représentent la traduction littérale des unités phraséologiques. Quoi qu’il en soit de cette stratégie de traduction, il y a des chercheurs qui la trouvent moins utile, car elle ne permet pas de transmettre le naturel de l’image et de la sémantique du contenu dans la langue d’arrivée(Barushkova 2019). Pourtant, la traductrice Navakauskienėutilise la stratégie de la traduction littérale qui s’inscrit bien dans l’ensemble du texte traduit. Présentons les exemples :

(25)« <..> Madame Rosa gardait un grand portrait de Monsieur Hitler sous son lit et quand elle était malheureuse et ne savait plus à quel saint se vouer, elle sortait le portrait, le regardait et elle se sentait tout de suite mieux, ça faisait quand même un gros souci de moins. » (p.53)
« <..> ponia Roza laikė po lovą didelį pono Hitlerio portretą ir, kai jausdavosi nelaiminga ir nebežinodavo kuriam dievui melstis, išsitraukdavo portretą, žiūrėdavo į jį ir iškart pasijusdavo geriau: juk vienas didelis akmuo jau nuo širdies nusirito. » (p. 26)

(26) « J’étais donc rue de Ponthieu et j’ai tué comme ça une heure ou deux en regardant des mecs jouer au foot à l’intérieur d’un bistro. » (p. 101)

« Taigi buvau Pontjė gatvėje ir užmušiau dar porą valandų žiūrėdamas, kaip keli tipai bistro kieme žaidžia futbolą. » (p. 70)

Dans la langue lituanienne, l’expression « nežinoti kuriam dievui melstis » (exemple 25) ne représente pas une unité phraséologique. Cependant, cette expression imagée est bien claire et porte la même signification comme l’unité phraséologique française « ne savoir plus à quel saint se vouer ». L’expression « užmušiau dar porą valandų » utilisée au sens figuré, est bien compréhensible dans le contexte donné de l’exemple 26.

Dans l’exemple présenté, l’unité phraséologique « tuer une heure ou deux » est traduite par « užmušiau dar porą valandų » (exemple 26).Selon la Commission d’État pour la langue lituanienne (en lit. Valstybinė lietuvių kalbos komisija ), « užmušti laiką » est un proverbe qui est considéré comme une traduction de la langue russe « убивать время ». Si on a besoin de dire le même sens dans un discours ou un texte lituaniens, on devrait utiliser les expressions lituaniennes « šiaip taip stumti laiką » ou « trumpinti laiką »[10]. Malgré le décalage entre la norme de la langue lituanienne standard et la traduction littérale représentée par les exemples cités 25 et 26, nous pouvons constater que la traductrice se montre très créative dans la traduction du roman. Elleprivilégie le calque d’expression et le vocabulaire du style parlé lituanien pour pouvoir transmettre une ambiance très particulière à la vie et au langage des marginaux de la société.

Tous les exemples analysés de l’original et de la traduction de « La vie devant soi » de Romain Gary, nous montrent que la traduction littéraire est une activité créative qui est intimement liée à l’adaptation socioculturelle de l’œuvre dans la culture d’arrivée. Dans cette perspective, on pourrait ajouter que la traduction des unités phraséologiques analysées est souvent guidée par la thématique du roman, par les effets stylistiques et les connaissances extralinguistiques du lecteur de la traduction.

Conclusions

Nous avons analysée l’emploi des unités phraséologiques et les stratégies de leur traduction dans le roman français « La vie devant soi » de Romain Gary (1975) et dans sa traduction en lituanien faite par Jūratė Navakauskienė (1992). Après avoir fait une analyse, nous pouvons tirer quelques conclusions :

  1. Dans notre présentation théorique de l’unité phraséologique, nous avons constaté plusieurs définitions et classifications (Rey et Chantreau 1984, Valginaet al. 2002, Tutin 2013, Ganieva 2015, Maunier-Crespo2008, etc.) parmi lesquelles nous avons choisi la définition et la classification de Paulauskas (2003). Ce linguiste lituanien nous précise que l’intégrité du sens des éléments du syntagme, le caractère imagé et la stabilité syntagmatique des composants, ce sont les principales particularités de l’unité phraséologique.
  2. En nous basant sur la classification sémantique des unités phraséologiques de Paulauskas (1995), nous avons fait l’analyse quantitative et sémantique de l’emploi des unités phraséologiques dans le roman « La vie devant soi ». Les résultats de l’analyse faite nous ont montré les catégories prédominantes, celles : 1) des phénomènes du monde intérieur de l’homme (22 exemples qui font 31% de cas trouvés) ; 2) des relations entre les gens (13 exemples qui font 18% de cas trouvés) ; 3) de la vie sociale des gens (11 exemples qui font 16% de cas trouvés). L’analyse sémantique des unités phraséologiques des groupes les plus fréquents montre que l’emploie des unités phraséologiques est étroitement liée à la thématique, au style du roman et à l’idée de R. Gary d’exprimer les relations et les sentiments entre les gens dans la société décrite.
  3. En nous basant sur les exemples collectés, nous avons fait une analyse traductionnelle des unités phraséologiques en lituanien dans la traduction du roman « La vie devant soi » de Romain Gary. L’étude des stratégies de la traduction des unités phraséologiques nous permet de constater les stratégies suivantes : la traduction par la paraphrase, la traduction par les équivalents, la traduction par le synonyme phraséologique et la traduction littérale. Les stratégies prédominantes de la traduction des unités phraséologiques sont celles de la paraphrase, de la traduction par les équivalents et de la traduction par le choix du synonyme phraséologique. Les résultats de l’analyse faite nous permettent d’affirmer que la traductrice maîtrisait bien les connaissances linguistiques et extralinguistiques dans les contextes donnés, et elle a effectué le choix des stratégies de traduction d’une manière très créative.En traduisant « La vie devant soi » de Romain Gary, Jūratė Navakauskienė a surmonté une tâche difficile de traduire aussi précisément que possible les unités phraséologiques en lituanien, de sorte que sa traduction peut être considérée comme un exemple d’une traduction d’une grande qualité.

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[1]Le Robert. Dico en ligne. Consulté le 23 Novembre 2019, à l’adresse :https://dictionnaire.lerobert.com/definition/phraseologie

[2]Larousse. Dictionnaire français. Consulté le 6 décembre 2019, à l’adresse :https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/phras%C3%A9ologie/60535

[3]Les expresssions françaises décortiquées. Consulté le 23 Novembre 2019, à l’adresse :https://www.expressio.fr/expressions/discuter-le-bout-de-gras

[4]Les expresssions françaises décortiquées. Consulté le 23 Novembre 2019, à l’adresse :https://www.expressio.fr/expressions/on-lui-donnerait-le-bon-dieu-sans-confession

[5]Les expressions françaises décortiqués. Consulté le 23 Novembre 2019, à l’adresse : https://www.expressio.fr/expressions/la-fin-des-haricots

[6]Les expressions françaises décortiqués. Consulté le 23 Novembre 2019, à l’adresse: https://www.expressio.fr/expressions/foutre-ficher-le-camp

[7]Dictionnaire Reverso. Consulté le 5 avril 2020, à l’adresse : https://dictionnaire.reverso.net/francais-synonymes/fermer+sa+gueule

[8]Les expressionsfrançaisesdécortiquées. Consulté le 5 avril 2020, à l’adresse : https://www.expressio.fr/expressions/etre-vivre-comme-un-coq-en-pate

[9]Les expressionsfrançaisesdécortiquées. Consulté le 5 avril 2020, à l’adresse:https://www.expressio.fr/expressions/la-fin-des-haricots

[10]Konsultacijų bankas - Valstybinė lietuvių kalbos komisija, 2020. http://www.vlkk.lt/konsultacijos/8986-uzmusineti-laika